Yannick enflamme Daphnis

Si vous savez certainement que nous fêterons toute cette année 2012 notamment Debussy, Daniel-Lesur et Honegger peut-être vous a-t-il échappé que 2012 sera également l’année «Daphnis et Chloé». En effet, ce chef d’œuvre de Ravel fut créé au Théâtre du Châtelet le 8 juin 1912. Cet anniversaire explique sans doute les 3 représentations prévues en quelques mois à Paris. En effet, après le National et Ludovic Morlot en novembre et avant l’Orchestre de Paris et Riccardo Chailly en février c’était il y a quelques jours Yannick Nézet-Séguin qui dirigeait Daphnis au Théâtre des Champs-Elysées à la tête du Philharmonique de Rotterdam. Et on ne s’étonne donc pas que ce concert pourtant donné une seule fois n’ait pas fait le plein (oui nous sommes bien à Paris…) et que la salle fût finalement remplie en grande partie grâce aux invitations offertes aux abonnés. Beau geste et bienheureux ces abonnés qui ont ainsi pu assister à un grand moment de musique.

Yannick Nézet-Seguin est un des chefs de la nouvelle génération qui montent et après avoir fait ses débuts l’année dernière à la Philharmonie de Berlin et à la Scala il les fera cette année au Covent Garden dans “Russalka”. Il est un des rares chefs ayant pu bénéficier de l’enseignement de Carlo-Maria Giulini. Un moment pressenti comme successeur de Michel Plasson à Toulouse, il a finalement pris en mains les rênes du Philharmonique de Rotterdam en 2008, succédant à Valéry Gergiev, et prendra en septembre 2012 celles du Philadelphia Orchestra en crise chronique depuis les années Eschenbach.

Ce concert débutait par un « Shéhérazade » ciselé avec finesse, grâce et subtilité par un Nézet-Séguin visiblement très à l’aise dans cette musique de précision. Malgré l’affinité connue d’Anna-Caterina Antonacci avec la langue française force est de reconnaître que le texte de Tristan Klingsor était perdu dès que l’orchestre était un peu fort. Dommage car cette grande artiste habite les passages piano avec sa passion et son engagement habituels.

Après l’entracte et une fois installée la « Wiener Singakademie » Daphnis pouvait commencer. Il est toujours fascinant de voir un jeune chef approcher un tel monument avec tant de talent, de détermination et d’intelligence. Et tout cela sans partition. On retrouvait dans “Daphnis” les mêmes qualités de chef que dans “Shéhérazade”, la précision, de très belles nuances, une parfaite conduite des transitions et contrastes sans oublier la fougue et l’engagement. Mais une fougue et un engagement puissants et maitrisés en aucun cas désordonnés ou gratuits. Car cette sublime musique la plus sensuelle qui soit est aussi faite de passion, de chair et de violence. L’orchestre répond au doigt et à l’œil avec une belle discipline d’ensemble ce qui n’empêche pas les individualités notamment la flûtiste Juliette Hurel (encore une française qui trouve son bonheur musical hors de l’hexagone…) de s’exprimer au plus haut niveau.

« Die Wiener Singakademie », chœur amateur viennois fondé comme le « Wiener Singverein » en 1858 est moins célèbre que son prestigieux concurrent. Basé depuis 1913 au Konzerthaus, l’autre grande salle de concert à Vienne, et dirigé depuis quelques années par Heinz Ferlesch il est composé d’une centaine de chanteurs amateurs. Ce chœur a donc eu la chance de rejoindre Rotterdam pour 3 concerts sur place avant d’accompagner l’orchestre invitant pour ce déplacement à Paris. La belle sonorité et la justesse de l’ensemble frappait notamment dans le redoutable passage a cappella mais on aurait aimé plus de puissance dans les passages forte. Et pas de doute on était bien en France car si le chef de chœur venait bien faire saluer son chœur en fin de concert son nom ne figurait dans le programme….

Gilles Lesur

Théâtre des Champs Elysées, 22 janvier 2012, Shéhérazade et Daphnis et Chloé de Maurice Ravel, Anna-Caterina Antonacci, Wiener Singakademie (chef de chœur : Heinz Ferlesch), Orchestre Philharmonique de Rotterdam, direction : Yannick Nézet-Séguin