Mass de Bernstein bientôt à Paris

Évoquant ses projets dans une interview donnée à la revue Classica en 2009, Didier de Cottignies, alors directeur artistique fraîchement nommé à l’Orchestre de Paris, suggérait de rendre hommage à Léonard Bernstein, chef très aimé en France mais qui a souvent souffert de ne pas être reconnu comme compositeur. Il y parlait notamment de “Mass”, une composition dramatique pour chanteurs, acteurs et danseurs trop rarement donnée. Mais Radio France a été plus rapide puisque cette œuvre a fait en 2013 l’ouverture du festival de Radio France et de Montpellier et finalement rien n’est venu jusqu’à maintenant à l’Orchestre de Paris…Mais l’anniversaire de la naissance de Bernstein, né en 2018, a changé la donne et ce d’autant que la Philharmonie de Paris est l’endroit idéal pour une telle œuvre. Et Paris, que Bernstein aimait tant, vaut bien une messe, non ?

Commande de Jackie Kennedy à la mémoire de son premier mari et écrite alors que Bernstein (1918-1990) avait 52 ans, Mass fut créée avec succès le 8 septembre 1971 à Washington sous la direction de Maurice Peress et pour l’inauguration du “John Fitzgerald Kennedy Center for the Performing Arts in Washington”, lieu créé en hommage au président assassiné en novembre 1963. Il fallut attendre 10 ans pour sa création à Vienne et elle fut même donnée au Vatican en 2000 à la demande de Jean Paul II. En grande partie basée sur le texte latin de la messe liturgique catholique, rappelons que le président Kennedy était catholique, elle utilise également des textes en anglais de Bernstein et de deux compositeurs de Broadway, Stephen Schwartz et Paul Simon, dont certains cyniques et/ou carrément hostiles aux guerres. Rappelons qu’à l’époque la crise de Cuba à laissé des traces, que les soviétiques viennent d’envahir la Tchécoslovaquie et que la guerre du Vietnam fait rage. Avertis du caractère probablement subversif de l’oeuvre le président en exercice, Richard Nixon comme la veuve de JF Kennedy, devenue Mme Onassis, n’assistèrent pas à la création sur les recommandations du FBI…

Mass se situe sans doute à mi-distance de l’opéra/oratorio et de la comédie musicale. Mais elle est aussi célébration, respectant, du point de vue formel, les différentes parties de l’Ordinaire de la messe que Bernstein, aidé par Stephen Schwartz, augmente d’ajouts au texte liturgique, une habitude déjà parfois présente au Moyen-âge, et qui viennent ici mettre en résonance, commenter et questionner la parole religieuse, dans un ensemble polysémique et multilingue en latin, anglais et hébreu. Le texte s’achève sur le grand solo dramatique du Célébrant «Les choses se cassent», longue diatribe pleine de sous-entendus, qui laisse apprécier la teneur politique et contestataire du propos et l’efficacité littéraire du texte.

Composée de 32 pièces, elle utilise un célébrant, trois chœurs, dont un d’enfants, et des “acolytes”. L’orchestre, très riche en percussions, comprend également deux orgues, une bande enregistrée, un célesta, une harpe, deux guitares électriques et deux batteries. Toutes les formes musicales y sont représentées, du canon à la fugue, de la comédie musicale au rock en passant par l’électronique. Cette messe évoque par moments la magnifique troisième symphonie dite “Kaddish “et les “Chichester Psalms” plus souvent donnés en concert mais aussi le Bernstein génial de “West Side Story”. D’immenses compositeurs de Bach à Copland en passant par Chostakovitch sont tour à tour convoqués. On y retrouve également par endroit l’esprit des œuvres aimées et admirées par Bernstein comme “Les Noces” de Stravinsky ou certaines pièces de Benjamin Britten. Véritable melting-pot musical ou “œuvre monde”, comme l’écrivait très justement Rémy Louis en juin 2009, elle réserve plus d’une surprise et entraîne l’auditeur dans un parcours atypique, très souvent jubilatoire et toujours surprenant.

Si vous souhaitez découvrir cette œuvre étonnante, plusieurs enregistrements se détachent de la discographie actuelle. Bien entendu, celui dirigé par Léonard Bernstein publié par Sony (1971) à l’occasion de la Century Edition Bernstein (graphiquement illustré par le Prince Charles), mais aussi celui de Kent Nagano avec l’Orchestre symphonique allemand de Berlin (Harmonia Mundi, 2003) et plus récemment celui de Marin Aslop, qui a beaucoup travaillé auprès de Bernstein, avec les forces de Baltimore (Naxos, 2009). La version publiée par Chandos en 2009 sous la direction de Kristjan Järvi avec Randall Scarlata, le chœur d’enfants de Tölz, le Chœur Sine Nomine, l’Ensemble Absolute et l’Orchestre d’Etat de Basse-Autriche, est elle aussi de qualité.

“Mass” sera donnée à la Philharmonie de Paris les 21 et 22 mars prochains par le Choeur et l’Orchestre de Paris dirgés par Wayne Marshall.

Article publié pour la première fois en 2013 et actualisé en août 2017

Gilles Lesur