Triple MMM pour EPS

On le sait depuis longtemps, Esa Pekka Salonen est un très grand chef d’orchestre. Formé comme beaucoup par Jorma Panula il a été pendant de 1992 à 2009 le directeur du « Los Angeles Philharmonic Orchestra » installant ce magnifique orchestre dans le XXI° siècle. Il appartient à cette espèce particulière de chef compositeur comme Mahler, Boulez, Stravinsky, Maderna ou d’autres. Il fait également partie de ces musiciens, trop peu nombreux, qui s’interrogent avec lucidité sur la place de la musique dite classique dans le monde de demain et agissent pour transmettre au plus grand nombre cet héritage. En d’autres termes Salonen est non seulement un très grand chef mais également un homme intelligent et concerné par son époque. Il a aussi toujours aimé construire des saisons symphoniques riches évitant les programmations fourre-tout et/ou racoleuses. On se souvient notamment en 2009, année du cinquantenaire de la disparition de Sibelius, de l’intégrale des symphonies qu’il balada avec grand succès en Europe. Dès la première année de son arrivée à la tête du Philharmonia de Londres en 2009 il a imprimé sa marque. Ainsi avait-il pour sa première saison choisi la thématique « Seconde école de Vienne», ce qui nous a notamment donné un “Wozzeck” en version de concert miraculeux en novembre 2009 au Théâtre des Champs Elysées avec un extraordinaire Simon Keenlyside dans le rôle titre.

Et voilà que pour notre plus grand bonheur il récidive cette année avec un cycle Bartók. Si le premier concert donné en novembre consacré au « Château de Barbe Bleue » et à la « Musique pour cordes, percussion et célesta » n’a pas complètement convaincu, celui du 27 janvier dernier fût tout simplement d’un niveau stratosphérique. Au programme, la suite de danses, le concerto pour violon n°2 et la suite du « Mandarin Merveilleux » précédée d’une transition apaisante (avant la tempête), « le Prélude à l’après midi d’un faune » de Debussy. Ce concert fût tout simplement miraculeux avec une suite de danses toute de contrastes, un concerto magistral avec un Tezlaff en état de grâce et un Debussy clair, précis et raffiné comme on le rêve. Dans ces différentes pièces l’orchestre Philharmonia sonne « anglais » sans faiblesse avec une belle chaleur et des individualités de talent toujours au service de l’ensemble et de la musique. Mais le sommet de cette soirée fût incontestablement une fantastique suite du « Mandarin Merveilleux » d’une incroyable puissance et d’une mise en place impeccable. Cette pièce géniale et ainsi interprétée apparaît bien comme un des sommets de la musique de cette époque. L’accueil chaleureux du public nous permet d’entendre en bis le « Galop » du tant aimé Stravinsky donné ici avec toute la gouaille, le fantasque et l’énergie nécessaires. Dans une passionnante interview (à lire de toute urgence) dans le numéro de février de « Classica » EPS déclare à propos de la direction d’orchestre «avec le temps on apprend à lâcher la bride, à ne pas vouloir tout contrôler, à laisser l’orchestre jouer sans le quitter des yeux et des oreilles…». Ce n’était pas évident à voir un Salonen ce soir-là complètement investi débordant d’énergie, dirigeant avec une impeccable précision et un geste passionné. Mais on ne se plaindra pas tant le résultat musical était somptueux. A n’en pas douter Esa Pekka Salonen, bientôt 54 ans, est au sommet de son art. Merci Esa Pekka pour ce « Mahtavaa* Mandarin Merveilleux » !

Gilles Lesur
27 janvier 2012, Théâtre des Champs Elysées, Esa Pekka Salonen, Philharmonia Orchestra, Christian Tezlaff, Bartok, Suites de danses, Concerto pour violon N°2, Le Mandarin Merveilleux, suite d’orchestre, Debussy, Prélude à l’après midi d’un faune.

Le dernier concert de ce cycle Bartók sera donné au TCE le 25 juin prochain. Au programme, le Prince de Bois, le troisième concerto pour piano avec Nicolaï Lugansky et le concerto pour orchestre.

* mahtavaa signifie merveilleux en finnois

Merci à Elizabeth Kalfoglou auteur de cette magnifique photo d’Esa Pekka prise dans sa loge à Pleyel en décembre 2009 après un incroyable “das Klagende Lied” de Gustav Mahler