Le Roi David d’Honegger

Le Roi David d’Arthur Honegger (1892-1955)

2012 ne sera pas que l’année Debussy ou Daniel-Lesur, elle sera également l’année Honegger. Enfin elle devrait l’être, car Arthur Honegger est né le 10 mars 1892. Une chose est certaine l’un de ses chefs-d’œuvre, «Le Roi David », poème symphonique en 3 parties d’après le drame de René Morax, a été donné le 14 février 2012 à Notre-Dame de Paris sous la direction de Michel Plasson. Et ce n’est pas un hasard si « Le Roi David » est avec « Pacific 231 » l’œuvre qui établit la réputation internationale du compositeur.

C’est assez naturellement qu’Honegger, né au Havre de parents suisses allemands protestants et donc tôt imprégné de la Bible, accepte au début de l’année 1921 (il a alors 29 ans) la proposition des frères Morax, responsables d’un théâtre populaire à Mézières près de Lausanne, d’écrire une musique sur un drame biblique écrit par l’un des frères, Réné Morax. C’est Ernest Ansermet qui, consulté par les frères Morax, a suggéré Honegger, choix tout de suite encouragé par Stravinsky. Les délais sont très courts (2 mois) et les contraintes importantes (un instrumentarum réduit et sans cordes et un chœur composé de 100 amateurs locaux). L’inquiétude d’Honegger est telle qu’il demande conseil à Stravinsky qui lui répond avec sa clairvoyance habituelle « Faites comme si vous aviez voulu vous-même qu’il en soit ainsi ». Le message est compris car la création le 11 juin 1921 fût triomphale et quelques jours après, Honegger devint très vite et pour beaucoup « le Roi Arthur ». Pendant l’été 1923 Morax et Honegger revoient leur copie, l’un en condensant son texte, l’autre en adaptant sa musique pour une formation symphonique plus traditionnelle compatible avec une exécution en concert. C’est cette version qui est créée à la salle Gaveau le 15 mars 1924. Nouveau triomphe pour Honegger. Cette version «symphonique » s’est longtemps imposée au point de faire disparaître pendant quelques décennies la version originale jusqu’à ce que Charles Dutoit l’enregistre pour Erato au début des années 70.

Pouvant sembler disparate avec ses 26 pièces cette œuvre n’en possède pas moins une belle unité spirituelle. Véritable oratorio où les évangélistes chantants du XVII° siècle sont remplacés par un récitant narrant l’action, cette œuvre a redonné vie au XX° siècle à ce genre qui donnera plus tard d’autres chefs-d’œuvre, comme « Jeanne d’Arc au Bûcher » écrite en collaboration avec le catholique Paul Claudel ou « Œdipus Rex » de Stravinsky sur un texte de Jean Cocteau. Comme l’écrit joliment Jean-Michel Hayoz « le souci d’Honegger fût de reconstituer la vérité profonde de son héros par une musique tour à tour sereine et pastorale, âpre et brutale, glorieuse et éclatante, chargée de sentiments d’intense religiosité, sensuelle, fière avec panache ». Le chœur se taille la part du lion de cette magnifique partition avec quelques passages à l’unisson très étonnants, un chœur des prophètes d’un climat fascinant, quelques psaumes jubilatoires, de déploration ou d’amour, les sublimes lamentations de Gilboa qui font penser en même temps à l’orientalisme du Saint-Saëns de «Samson et Dalila» et aux exquises «Sirènes» de Debussy. Les deux pièces principales sont la Danse devant l’arche, centre bien plus que seulement chronologique de l’œuvre et la mort de David qui mène le héros vers la lumière et la joie au travers d’une musique de jubilation et d’ivresse.

Beaucoup de chefs français ou suisses ont laissé des enregistrements notamment MM. Dutoit et Piquemal pour la version originale et MM. Corboz, Ansermet, Casadesus et Baudo pour la version avec grand orchestre. Le chœur et l’orchestre de Paris ont interprété le « Roi David » en avril 1977 sous la direction de Jean Fournet mais jamais depuis. Plus récemment le chœur de Radio France et le chœur l’Opéra de Paris l’ont donné à Paris respectivement en février 2009 et mars 2011. Parmi les nombreux interprètes qui ont marqué cette œuvre on retiendra bien entendu Camille Maurane, présent dans l’enregistrement de Charles Dutoit, mais aussi pour les rôles du récitant et de la pythonisse les inséparables Jean Dessailly et Simone Valère. Plus près de nous André Wilms, Michael Lonsdale et Daniel Mesguish ont marqué de leur personnalité le rôle du récitant. Il en est de même de Jacques Martin très convaincant dans l’enregistrement dirigé par Michel Piquemal.

Gilles Lesur, 13/1/2012

En 2015, année des cinquante ans de la disparition d’Arthur Honegger, l’Orchestre de Paris donnera les 4 et 5 mars à la Philharmonie de Paris “Jeanne d’Arc au Bûcher” dans une version mise en espace. Le chœur de l’Orchestre de Paris mettra donc cette œuvre à son répertoire. Marion Cotillard sera l’interprète de Jeanne et le jeune chef Kazuki Yamada sera à la baguette. Un rendez-vous à ne pas manquer.