Yes they can…

Il est des concerts où l’exercice de la chronique atteint ses limites devant une certaine forme d’évidence. C’était le cas du concert donné dimanche après-midi (20 septembre 2009) à Pleyel par l’Orchestre symphonique de Chicago dans le cadre de sa tournée européenne d’automne. Ce concert, dirigé par Bernard Haitink – grand chef d’orchestre parmi les grands, était d’un incroyable niveau musical.

Au programme, deux chefs-d’œuvre de l’histoire de la musique intelligemment mis en miroir : la lumineuse symphonie Jupiter de Mozart et la sombre première symphonie de Brahms. On sait depuis longtemps que l’Orchestre symphonique de Chicago est avec New-York, Philadelphie, Cleveland et Boston, sans oublier le Los Angeles Philharmonic Orchestra, l’un des meilleurs orchestres au monde. Réputé le plus allemand des orchestres américains, sans doute de par sa relation durable et privilégiée avec les chefs européens de tradition germanique qui l’ont dirigé (Reiner, Solti ou Barenboïm), il est aussi et surtout un somptueux orchestre. Somptueux avant tout par la puissance du son. Une puissance toujours voluptueuse sans jamais ni saturation ni agressivité et toujours musicalement à propos.

Tout cet orchestre n’est qu’excellence : précision de jeu inouïe, jamais le moindre décalage, écoute constante, lisibilité de l’essentiel comme de l’accessoire, osmose parfaite des différents sons, résultat sonore riche, varié et vraiment époustouflant. Tous les artistes de cette phalange sont exceptionnels et s’il fallait n’en retenir que quelques-uns ce ne serait pas Dale Clevenger, corniste déjà rentré dans la légende, ni Mathieu Dufour, flûtiste français expatrié à Chicago depuis 10 ans et bientôt débauché par Gustavo Dudamel pour Los Angeles, mais cet incroyable second basson William Buchman et le timbalier Donald Koss qui, tout deux ont fait des miracles, notamment dans Mozart. Il faut dire que Bernard Haitink, du haut de ses 80 ans, insuffle musique, vie et énergie avec autorité… et non autoritarisme. Avec de tels musiciens, la symphonie de Mozart, jouée à environ 40, devient tout simplement évidente et l’on en vient à penser que Mozart c’est ça et que les interrogations musicologiques sur le nombre et le type d’instruments sont bien futiles. Mozart est là, bien présent, vif, grave et joyeux, rêveur, charnu, charmeur et point question de diapason ou d’autres histoires de boyaux… Merci Monsieur Haitink ne nous rendre ce Mozart-là, évidemment génial et indémodable pour les siècles. Et de nous épargner la timbale qui se prend pour le bœuf !

Quant à Brahms qu’on entend parfois à 50 musiciens, sur des instruments à la justesse improbable et hasardeuse, il est tellement plus… Brahms comme cela. Et pour porter jusqu’au final un Brahms de ce niveau, il faut tout ce que possède ce chef, la connaissance mille fois recommencée de cette musique jusque dans son intimité, la science de l’orchestre, de la ligne et du souffle.
Salle pleine mais sans ces chefs d’orchestre à la mode qui sont partout mais qui feraient mieux de retourner à la table de travail. Après Chailly et le Gewandhaus de Leipzig la semaine dernière, la rentrée à Pleyel est décidément un immense bonheur pour les amateurs d’orchestre symphoniques et de grands chefs d’orchestre. La semaine prochaine la fête continue avec Valery Gergiev et le London Symphony Orchestra…

Gilles Lesur

Salle Pleyel, dimanche 20 septembre 2009. Symphonie n°41 en ut majeur K.551 dite “Jupiter” de Mozart, première symphonie en ut mineur op.68 de Brahms. Orchestre symphonique de Chicago. Bernard Haitink, direction.