Fidèles de ce site vous le savez, Yannick Nézet-Séguin est un des plus grands chefs d’orchestre du moment. Hier soir au Théâtre des Champs Elysées, un extraordinaire concert démontrant les incroyables qualités de ce musicien de 37 ans est à nouveau venu le confirmer. Ce n’est pas la première fois que l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam se produisait à Paris avec son chef titulaire, puisqu’il y avait notamment déjà eu en janvier dernier un «Daphnis et Chloé» d’anthologie. Ces musiciens ont à nouveau brillé dans un beau programme Smetana, Chausson et Dvořák. L’Orchestre Philharmonique de Rotterdam, mené aux sommets par Valéry Gergiev de 1995 à 2008, est depuis maintenant quatre ans dans les mains expertes et chaleureuses de Yannick Nézet-Séguin. Car l’homme est manifestement sympathique, décontracté, souriant et chaleureux. Ces qualités humaines, jointes aux qualités musicales reconnues de tous, ont certainement participé à sa nomination à partir de la saison 2012/13 à la tête du «Philadelphia Orchestra», un des meilleurs orchestres américains.
Dès les extraits de « La Moldau » de Smetana donnés en début de concert, Yannick Nézet-Séguin crée un climat d’écoute mutuelle et sollicite à chaque instant ses musiciens grâce à une gestique ample et dansante à laquelle s’ajoutent de nombreux et complices regards souriants. Il en sera de même pendant toute la durée du concert. Le scintillement sonore de cette musique est rendu avec vivacité, précision et chaleur mais sans gommer une certaine nostalgie, si typique de cette musique d’Europe Centrale. L’orchestre qui joue très collectif sonne précis, engagé avec de belles individualités au service de l’ensemble. Dans le «Poème de l’amour et de la mer» de Chausson, Christianne Stotijn, au français pourtant précis, semble avoir quelques difficultés à projeter sa voix, au moins au début. Puis elle rentre progressivement dans l’œuvre, aidée par Yannick Nézet-Séguin qui l’accompagne avec sollicitude en chef habitué de l’opéra et des chanteurs qu’il est. Mais force est de reconnaître que la largesse de la tessiture expose les limites de la voix qui ne paraît pas homogène ce soir. L’interlude orchestral «Le temps des lilas», particulièrement réussi, dégage une tendresse toute printanière et une lumière typiquement française qui n’a pas de secret pour ces musiciens habitués à ce répertoire.
En seconde partie, et seulement une fois le silence obtenu, Yannick Nézet-Séguin attaque avec énergie, détermination et ligne la symphonie du Nouveau Monde de Dvořák, ce chef d’œuvre très connu mais rarement à ce point fouillé et abouti. Présent sur tous les traits, il sollicite successivement, voire en même temps, les cordes, les bois, les cuivres ne laissant aucune note, aucun passage de coté ce qui est une caractéristique des grands chefs. Tout devient audible, tout en étant en situation, ce qui concoure à la plénitude d’une musique dont on a parfois oublié, à force de l’entendre jouée de manière souvent trop routinière, à quel point elle est riche et géniale. Même s’il y a ici ou là quelques minimes décalages, de loin préférables à ces interprétations parfaites mais ennuyeuses, les musiciens de Rotterdam investis et en confiance mettent toute leur énergie et leur talent au service de la vision de Yannick Nézet-Séguin, qui n’est ni tchèque ni allemande ou je ne sais quoi, mais tout simplement musicale. L’accueil est triomphal et chaleureux ce qui manifestement touche et le chef et les musiciens. Tous doivent pourtant être habitués au succès. Cette même équipe sera de nouveau au Théâtre des Champs Élysées le 21 juin 2013 dans un magnifique programme, «La Mer» de Debussy, «La Valse» de Ravel et un «Sacre du printemps», dont on fêtera le centenaire de la création ici même et qui promet. Une belle idée pour la fête de la musique, non ? A n’en pas douter avec Yannick Nézet-Séguin et cet orchestre, la fête, la joie communicative et l’amour de la musique seront au rendez-vous.
Gilles Lesur
17 septembre 2012, Théâtre des Champs Elysées, Smetana (1824-1884), La Moldau, extrait de «Ma Patrie», Ernest Chausson (1855-1899), « Poème de l’amour et de la mer pour voix et orchestre », op.19, Antonin Dvořák (1841-1904), Symphonie n°9 en mi mineur op.95 «Du Nouveau Monde », Christianne Stotijn, Orchestre Philharmonique de Rotterdam, Yannick Nézet-Séguin.