Wir sind Berliner

Ce dimanche 8 mai à Berlin fut un jour chargé d’une émotion particulière. Simon Halsey avait choisi pour son «Mitsingkonzert» 2011 le «War Requiem» de Britten. Il fallait oser. Et si Simon reconnaissait en début de journée une certaine anxiété vis-à-vis de ce projet un peu fou, il n’en gardait pas moins son incroyable enthousiasme. On sait que ce chef d’œuvre de la musique du XXe siècle, composé par un homme détestant la guerre et créé en 1962 en pleine guerre froide, est, en fait, consacré, comme Britten le disait lui-même, à «the war and the pity of war». Et donner cette œuvre un 8 mai, à l’endroit même où, 66 ans plus tôt, la fin de la guerre était signée, n’est évidemment pas sans signification.
Le principe de ces «Mitsingkonzerts» est d’associer, à des amateurs volontaires, le «Rundfunkchor Berlin», un ensemble professionnel de très haut niveau. La préparation est éclair, en une journée, un exploit rendu possible grâce à un important travail d’amont mené individuellement ou collectivement et au professionnalisme de Simon Halsey. Une répétition chœur piano et une générale sont suivies dans la foulée du concert. Plus de mille chanteurs allemands, italiens, danois, français, britanniques et suisses ont ainsi participé à cette représentation exceptionnelle. Simon Halsey assume toutes les fonctions, chef de chœur, chef d’orchestre pour le grand orchestre comme pour l’orchestre de chambre, sans faillir une seconde ni jamais se départir de son ambition d’excellence, de son énergie ni de sa communicative bonne humeur. Il faut dire qu’il côtoie cette œuvre, qu’il aime particulièrement, depuis son enfance et que son père Louis Halsey, également chef de chœur, était un proche de Britten. Il possède donc une vision très précise de l’œuvre et sait exactement ce qu’il veut. Il a notamment préparé le chœur pour l’enregistrement de référence réalisé par Simon Rattle pour EMI en 1983*. Simon Halsey est précis, exigeant, drôle, enthousiaste et naturellement rapide dans le travail ! Et le son produit par ces 1000 chanteurs réunis pour l’occasion est d’emblée étonnant de qualité sans aucun problème d’intonation et avec une incroyable précision dans l’articulation du texte. Et le résultat final seulement quelques heures plus tard est tantôt impressionnant de par le climat créé (Kyrie), parfois tellurique (Dies Irae), solaire (Sanctus), arché et terrifiant (Libera me), ailleurs précis, vif et dionysiaque (Offertorium) ou très émouvant (In paradisum). Enfin, chanter dans ce temple de la musique occidentale qu’est la Philharmonie de Berlin est un plaisir sensoriel de chaque seconde. Trois mentions particulières s’imposent l’une pour le chœur d’enfants, comme souhaité par Britten, composé de garçons à la tenue vocale et sur scène exceptionnelle, l’autre pour l’orchestre berlinois le Rundfunk-Sinfonieorchester, somptueux de bout en bout, et, enfin, pour les solistes hommes, tous deux britanniques, Christopher Gillett et Konrad Jarnot, dont le chant final était à faire pleurer les pierres. Christine, Corinne, Dominique, Elsa, Heinz et Sophie qui m’accompagnaient dans ce voyage ne sont eux aussi pas prêts d’oublier ce 8 mai 2011 à Berlin. Quand, pas encore revenu de ce voyage dans les étoiles, nous avons pu échanger quelques mots avec l’artisan de ce moment rare et que ce dernier s’est alors montré d’une accessibilité et d’une gentillesse touchante envers ses fidèles «frenchies» nous demandant de lui parler en français, «cette si belle langue», certains se demandaient s’ils n’étaient pas en train de rêver. Heureux Berlinois. Ja, wir sind Berliner !

Gilles Lesur

Berlin, Philharmonie, 8 mai 2011, Benjamin Britten, War Requiem, op.66 pour solistes, chœur d’enfants, chœur mixte, orchestre de chambre, orgue et grand orchestre, Inessa Galante, Christopher Gillett, Konrad Jarnot, Rundfunkchor Berlin, Mitsingkonzerte Chor, Knaben des Staats-und Domchores Berlin (Kai-Uwe Jirka, chef de chœur), Sigurd Brauns (orgue), Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin, Simon Halsey, direction.

Prochain “Mitsingkonzert” à Berlin le 14 avril 2012 pour la Messe Nelson de Haydn.

Le 9 mai 2011, Simon Halsey s’est exprimé en ces termes sur le compte Facebook du Rundfunkchor Berlin :
«For months I had been worrying: what if I cannot make the Britten work in one day? What if I have set us an impossible task? But I always knew it could be an incredible experience if it went well – and it was overwhelming! Thanks to the singers who came from all over the world, the boys, the orchestra, the soloists and, of course, my wonderful choir !»