Le Québec à Paris

Le 6 février au soir à la Philharmonie de Paris fut un grand moment. Un de ces moments qu’on aimerait vivre à chaque concert et surtout dont on sait, dès qu’il a commencé, qu’il sera à jamais gravé dans votre mémoire.

Le chef québécois Yannick Nézet-Seguin, bientôt 42 ans et futur patron du Metropolitan Opéra de New York, dirigeait l’Orchestre de Chambre d’Europe dans un programme Haydn et Beethoven. En première partie, la 44 ème symphonie, dite « Trauer », de Joseph Haydn. Quatre mouvements d’une musique très classique, superbement écrite et magnifiquement rendue par la direction précise et passionnée du chef québécois. Une lecture vive, acérée, drôle, contrastée finalement assez proche de ce que propose Simon Rattle. L’orchestre de chambre d’Europe, au sein duquel officient ce soir quelques musiciens français, notamment le hautboïste Olivier Stankiewicz, un temps au Capitole de Toulouse et maintenant au LSO, le corniste Benoît de Barsony de l’Orchestre de Paris et le clarinettiste Romain Guyot, est stupéfiant de beauté, d’unisson et d’engagement. Rien à voir avec ces orchestres dits baroques aux sonorités acres et imprécises et certainement le meilleur orchestre de chambre du monde. Une merveille !

Puis les musiciens et le chef étaient rejoints par Jean-Guihen Queyras, violoncelliste français lui aussi né à Montréal, qui arrive sur scène, bien entendu avec son instrument, mais aussi avec un magnifique sourire témoignant de son bonheur d’être là. Il nous offrait un concerto de Haydn d’une beauté à couper le souffle et en parfaite osmose avec Yannick Nézet-Seguin et l’orchestre. On sent entre ces 2 immenses artistes une réelle communion et une incroyable connivence musicale et humaine. Au cours de l’adagio, une femme en arrière-scène se sent mal et Yannick stoppe l’orchestre. Plusieurs personnes se déplacent, les pompiers arrivent nonchalamment  et tardivement (et sans même une civière!) après que Yannick a demandé « Voulez-vous un médecin ? ». Finalement plus de peur que de mal et le concert reprend ce qui nous permet d’entendre à nouveau le mouvement lent avec une intensité sans doute encore plus grande. Le final est pure jubilation partagée entre le chef, le violoncelliste et des musiciens aux anges et tous beaux à regarder : pas un n’est adossé à son fauteuil, des regards complices sont sans arrêt échangés et les sourires fusent ! En plus de l’extase musicale c’est donc un vrai bonheur visuel pour le spectateur notamment de voir le violoncelliste finlandais Tomas Djupsjöbacka à l’incroyable engagement passionné et qui échange constamment avec sa voisine Luise Buchberger comme avec les autres musiciens et le chef. Un violoncelliste dont on apprendra qu’il étude la direction d’orchestre auprès de Jorma Panula, le grand maître finlandais, et qu’il suit les masters class de Yannick Nézet Séguin…Comme on le comprend !

En seconde partie, place à un effectif renforcé de cuivres et de la timbale pour la symphonie Pastorale de Beethoven dont Yannick est un familier. Son interprétation foisonnante et vibrante jusque dans chaque recoin de la partition est une merveille. La richesse infinie de cette musique n’a jamais parue aussi grande, la musique circule sans arrêt d’un pupitre à l’autre avec une joie palpable et audible. L’orage est un grand moment de puissance décoiffante, mais contrôlée, et les coups de timbale de John Chimes, ancien de l’orchestre de la BBC du temps de Pierre Boulez, vous font trembler. La tension est constante jusqu’au dernier accord et toute la musique allemande depuis Haydn, jusqu’à même ce qui semble parfois annoncer Mahler, est présente. Le génie du Québec a encore frappé nos oreilles et notre âme. Chapeau et merci Yannick : tu es un maître et un homme rare.

A l’issue du concert Yannick Nézet-Séguin nous confiait, avec son habituelle simplicité, comme il aime cette salle Pierre Boulez de la Philharmonie de Paris. A n’en pas douter nous le reverrons bientôt à Paris et notamment début décembre avec l’Orchestre Métropolitain de Montréal dont il est le directeur musical fidèle depuis 2000. Je ne sais pas vous mais moi j’y serai ! Et continuons d’espérer qu’un jour l’Orchestre de Paris l’invite malgré son agenda de star …!

Gilles Lesur, le 9/2/2017