Esa-Pekka Salonen, le grand chef d’orchestre finlandais, était récemment dans la capitale à la tête de l’Orchestre de Paris pour y diriger la création mondiale du concerto pour violon de Richard Dubugnon et « Das Klagende Lied » de Mahler. Ce n’est que la seconde fois que l’Orchestre de Paris programmait cette œuvre de jeunesse de Mahler dans sa version originale en trois mouvements de 1880. Eschenbach avait dirigé en 2004 la version en deux mouvements révisée en 1889. Compositeur et chef d’orchestre, comme Pierre Boulez ou Peter Eötvös, Salonen ne sépare pas ces deux activités pour lui indissociables comme le pensait déjà un certain… Gustav Mahler. Invité régulier de l’Orchestre de Paris depuis 10 ans, Salonen est un des rares chefs qui obtient le meilleur de musiciens pas toujours motivés. Certains parlent encore d’un extraordinaire « Oiseau de feu » de Stravinsky, le compositeur fétiche de Salonen, donné en 2006 à Mogador. Un moment pressenti comme directeur musical de l’Orchestre de Paris, Esa-Pekka Salonen quittera l’Orchestre Philharmonique de Los Angeles qu’il dirige depuis 15 ans à l’été 2009 pour le Philharmonia Orchestra dont il est directeur musical depuis septembre 2008. Bienheureux londoniens qui peuvent écouter régulièrement Salonen, Gergiev et Jurowski.
Le premier contact avec Salonen, un homme à l’évidence simple, est cordial. Cinquante ans depuis juin dernier, il en paraît dix de moins. Il met un point d’honneur à s’exprimer le plus possible en français, une langue qu’il parle tout à fait correctement. De toute évidence et d’emblée, les tempi apparaissent essentiels dans son interprétation. Insuffisamment préparé sur ce point, le Chœur de l’Orchestre de Paris peine à trouver ses marques. En revanche, les nuances ne semblent pas être au cœur de sa lecture de l’œuvre. Peut-être se souvient-il des limites de l’Orchestre de Paris dans ce domaine… Le geste, qui, pour Mahler, utilise une baguette, est extrêmement précis, direct et droit sur le temps (« on the beat » dit-il en rigolant comme un enfant qui vient de réussir une farce…) mais également souple et élégant. Aucun énervement n’est perceptible, même lorsque le chœur traîne, mais il ne cède rien : il est bien le chef. La première rencontre avec l’orchestre dévoile les lacunes étonnantes de préparation de cette phalange qui se pense parfois exempte de répéter. Le quatuor de solistes est à la peine, exception faite de Lilli Paasikivi, compatriote de Salonen, d’emblée parfaite et engagée. Le ténor Jon Villars comme la soprano Melanie Diener ne seront jamais vraiment prêts. Les deux garçons du Tölzer Knabenchor préparés par Gerhard Schmidt-Gaden font du mieux qu’ils peuvent avec l’abattage qu’on leur connaît mais l’orchestre est à l’évidence trop fort. Vient la générale nécessairement imparfaite même en présence de Messieurs Casadesus et de Cottignies, ce dernier est le futur directeur artistique de l’Orchestre de Paris. L’écoute du concerto de Dubugnon ravit: œuvre puissante, variée, riche, magnifiquement servie par un Orchestre de Paris qui a manifestement plus travaillé que pour Mahler et par un Salonen engagé, précis et naturel. Le Stradivarius de Janine Jansen, jeune hollandaise de 25 ans, est un régal de justesse, de précision et d’engagement. Les trois mouvements vif, lent, vif se déroulent telle une œuvre classique… du XXIe siècle. Attention, chef d’œuvre ! Ne croyez pas les critiques qui ont parlé de vulgarité sous prétexte ce que n’est pas écrit comme du Boulez…
Le lendemain, Mikko Frank, chef finlandais qui devait diriger le concert du Philharmonique de Radio France était empêché pour raison de santé. C’est tout naturellement Salonen présent à Paris qui est appelé. Et ce d’autant qu’au programme de ce concert figure le concerto pour piano de Salonen en création française avec Yefim Bronfman – commanditaire et ami – au clavier. Ecouter et voir Salonen depuis les mêmes places du chœur mais à la tête d’un autre orchestre est passionnant. En première partie, « Ma mère l’Oye », typiquement français, délicat, clair et précis comme une horloge. Le concerto pour piano de Salonen, plus moderne d’écriture que le concerto de violon donné la veille et donc plus difficile d’accès, est néanmoins bien accueilli. En deuxième partie, une valse triste de Sibelius d’une épure assez inhabituelle pour une musique volontiers sollicitée et deux sublimes extraits des légendes de Lemmikäinen, le célèbre cygne de Tuonela avec ce solo de cor anglais sans équivalent dans toute la littérature d’orchestre et un final festif à souhait. L’Orchestre Philharmonique de Radio France s’est avéré d’une souplesse incroyable, capable de nuances extrêmes sous la direction, avec ou sans baguette mais toujours avec partition, de Salonen. Quel contraste avec l’Orchestre de Paris : les cuivres ne sont pas lourds, le quatuor est précis et au final une vraie entente d’une équipe qui fait sonner Sibelius comme de la musique de chambre.
Salonen accueille très gentiment dans sa loge certains choristes de la veille, une bière à la main et les bretelles bien dégagées. Pour preuve, cette magnifique photo que nous devons à Elisabeth Kalfoglou. Décidément ce Salonen est un grand chef, simple et accessible comme le sont constamment les vraiment grands. Pourvu que Radio France ne le récupère pas…
Gilles Lesur
Salle Pleyel, le 17 et 18 décembre 2008, Chœur et Orchestre de Paris, Richard Dubugnon, concerto pour violon, Janine Jensen, Das Klagende Lied (version originale de 1880), Gustav Mahler, Melanie Diener, Lilli Paasikivi, Jon Villars, Sergei Leiferkus, Tölzen Knabenchor.
Salle Pleyel, 19 décembre, Orchestre Philharmonique de Radio France, Yefim Bronfman, Maurice Ravel, Ma mère l’Oye, Esa-Pekka Salonen, concerto pour piano (création française), Sibelius, La Valse triste, Légendes de Leimmikäinnen (extraits).