Un Tristan d’anthologie

Un «Tristan» est toujours un événement. Surtout lorsqu’Isolde est chantée par Nina Stemme, que le chef est Mikko Franck et que l’orchestre est probablement le seul orchestre français capable de jouer cette musique à ce niveau, à savoir l’Orchestre Philharmonique de Radio France. Pleyel était donc comble ce samedi 13 octobre, remplie d’un public concentré et, une fois n’est pas coutume, silencieux. Le premier et incontestable artisan de cette extraordinaire soirée, hormis bien entendu Wagner, fut incontestablement le chef Mikko Franck. Produit de l’école finlandaise de direction d’orchestre de Jorma Panula, Mikko Franck, né en 1979, bien que régulièrement handicapé par de graves problèmes de santé est apparu ici en pleine forme. Actuellement directeur de l’Opéra d’Helsinki, on se souvient qu’il avait déjà triomphé en juillet 2012 dans une « Tosca » à Orange donné avec les musiciens du Philharmonique qui lui vouent une très grande admiration et qui en auraient bien fait leur directeur musical si sa santé ne rendait pas cet objectif peu réaliste.

Il dirige assis avec une sobriété et une élégance extrêmes cette partition qu’il abordait pour la première fois. Mais bien qu’assis il dirige mieux que bien des chefs pourtant debout…Tout y est, le feu de la passion, le legato, les ruptures, les couleurs, l’engagement. En quelques répétitions il a réussi à faire du «Philhar», qui certes est un excellent ensemble, l’équivalent d’un excellent orchestre de fosse allemand. Alors que bien d’autres, pourtant directeurs musicaux, patinent dans ce type de mission… Très souriant, il est le premier maître à bord, aidant parfois les chanteurs et sollicitant avec fougue les chœurs d’hommes. Il maintient tout au long de cette représentation un équilibre parfait entre l’orchestre et les chanteurs faisant preuve d’un vrai métier de chef d’opéra.

L’Orchestre Philharmonique de Radio France joue avec raffinement et engagement cette extraordinaire musique. Les cordes, les cuivres comme les bois se couvrent de gloire avec précision et subtilité, du très grand art. La période Marek Janowski a décidément laissé des traces et des bonnes…La distribution est exceptionnelle avec une Nina Stemme au firmament qui est tout simplement Isolde, un Christian Franz, Tristan, mélange d’errance et de passion blessée qui se paye le luxe de chanter par cœur, une Sarah Connolly, Brangäne, omniprésente confidente investie, un Deltef Roth, Kurwenal, impressionnant de hauteur et de timbre, un Peter Rose, Roi Marke, aux harmoniques graves somptueuses, un Richard Berkeley-Steele, Mélot, de belle allure vocale. Le final de l’acte II est particulièrement impressionnant comme le sont également le prélude de l’Acte III semblant venir de l’au-delà et le solo de cor anglais magistralement interprété depuis la bergère du premier étage par Stéphane Suchanek. Et quelle musique enivrante, étonnante, puissante, dérangeante. Composée pendant les années 1860, elle trouve ses racines notamment dans Berlioz (on se souvient que Tristan est dédié au compositeur français) et annonce à la fois Mahler, Stravinsky et Debussy. Et l’entendre en version de concert permet de se concentrer sur l’essentiel. Prima la musica ! Bravo Mikko vous êtes un grand parmi les très grands. Revenez-nous très vite.

Gilles Lesur

Salle Pleyel, 13 octobre 2012, Tristan et Isolde, Action en 3 actes de Richard Wagner donnée en version de concert. Nina Stemme, Christian Franz, Peter Rose, Detlef Roth, Sarah Connolly, Richard Berkerley-Steele, Pascal Bourgeois, Christophe Poncet, Renaud Derrien, Chœurs d’hommes de Radio France (chef de chœur : Matthias Brauer), Orchestre Philharmonique de Radio France, direction : Mikko Franck