La salle Pleyel était pleine le 17 mai dernier pour le «Samson et Dalila» de Saint-Saëns donné par le Chœur et l’Orchestre du Capitole de Toulouse dirigés par Tugan Sokhiev. Cette œuvre, souvent sous-estimée, révèle sans doute mieux ses multiples richesses lorsqu’elle est donnée en version de concert, comme ce fut le cas ce soir-là. Certes on pourra émettre ici ou là quelques réserves mineures sur la Dalila d’Elena Bocharova, très russe de timbre mais aux graves insuffisants dans un rôle sollicitant les extrêmes, ou sur le Samson de Ben Heppner qui n’a plus tout à fait la voix du rôle mais qui compense avec intelligence et une diction admirable, ou à propos de Nicolas Testé aux beaux graves mais à la projection insuffisante. En revanche, le Grand-Prêtre de Tómas Tómasson, chanteur né en Islande et au très beau français avait fort belle allure. Mais incontestablement le héros de la soirée fut Tugan Sokhiev qui, de bout en bout, impose une extraordinaire vision de l’œuvre et fait preuve une fois encore de toutes les qualités d’un immense chef d’orchestre. Tout y est, d’abord la beauté et la précision de l’orchestre qui est sans doute actuellement le meilleur ensemble symphonique français, mais aussi une intelligence de la construction et l’attention constante aux chanteurs, jamais couverts par l’orchestre ce qui est la marque d’un grand chef d’opéra. Il dirige les excellents chœurs du Capitole, au rôle essentiel dans cette partition ou le peuple constitue un personnage à part entière, avec une gestique précise et délicate faisant vivre chaque mot et phrase avec force ou poésie selon le contexte. Rares sont les chefs d’orchestre qui dirigent les chœurs, ici professionnels et du plus haut niveau, avec cet investissement de chaque seconde. Et le résultat est stupéfiant car chaque intervention du chœur, évidemment techniquement parfaite, fait sens de par son engagement et sa précision. Chanter en chœur avec un tel chef doit être un vrai bonheur ! L’orchestre est somptueux de bout en bout, précis, lisible, réactif et riche en nuances. Il sait être lyrique sans jamais devenir débordant et également sonner avec une puissance incroyable par exemple dans le final de l’acte II où le son est maîtrisé et ciselé par les mains d’un Sokhiev vraiment fabuleux tout au long de cette soirée. Et la bacchanale de l’acte III est un grand moment de sensualité rendue avec la jubilation raffinée nécessaire. Tugan Sokhiev est décidément l’un des plus grands chefs d’orchestre du moment. L’homme est tout aussi rare et vous ne le verrez jamais monter sur le podium en fin de représentation car il préfère saluer au milieu de ces musiciens avec lesquels il forme une formidable équipe. Mais que cette vraie modestie ne trompe pas car l’artisan principal de cette soirée miraculeuse c’est bien lui… Et quel plaisir de sentir dans ces forces toulousaines une entente, une complicité et un sens du collectif dont on a un peu perdu l’habitude dans les orchestres parisiens. Voir ce musicien, né en Ossétie, diriger avec une évidente gourmandise et un tel talent la musique française est très touchant. On notera au passage que contrairement à d’autres chefs qui déclarent aimer la musique française mais la dirigent peu (…), Tugan Sokhiev ne déclare rien de tel mais la dirige régulièrement et avec grand talent ! On se souvient notamment d’une «Damnation de Faust» d’anthologie donnée l’année dernière à Toulouse alors que ce chef-d’œuvre n’a pas été entendu à Paris depuis plusieurs années. Heureux Toulousains ! Ce Sokhiev est décidément un grand, un très grand chef d’orchestre.
Gilles Lesur
Paris, Salle Pleyel, le 17 mai 2011, Samson et Dalila, opéra en 3 actes de Camille Saint-Saëns, Elena Bocharova, Ben Heppner, Tómas Tómasson, Nicolas Testé, Alain Gabriel, Guođon Oskársson, Charles Ferré, Tomislav Lavoie, Orchestre National du Capitole de Toulouse, Chœur du Capitole de Toulouse (Alfonso Caiani, chef de chœur), Tugan Sokhiev, direction