Un Verdi exceptionnel

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«Un grand chef et tout s’embrasse», «Broyé, pulvérisé, terrassé», «Le grand opéra de la mort servi par une distribution de feu», «Moment de grande spiritualité», «Miraculeux, j’en ai pleuré», «Magnifique», «Noseda impressionnant», «Chœur et orchestre magnifiques», voici quelques-uns des commentaires de la Twittosphère à la sortie de la Philharmonie de Paris après les Requiem de Verdi dirigés par Gianandrea Noseda ces 12 et 14 février. Quant aux sites Internet (la presse écrite étant une nouvelle fois curieusement absente de ces concerts pourtant très attendus), Forum Opéra décernait 4 étoiles (le maximum!) au concert du vendredi 12 en comparant la direction d’une tension inouïe de Gianandrea Noseda à rien moins que celle de Carlos Kleiber dans son fameux Otello enregistré en direct. Le critique Julien Marion évoquait aussi «un auditeur pris à la gorge dès les premières minutes et tenu en haleine jusqu’aux derniers murmures du Libera me», un Requiem «au scalpel» et «qui restera dans les mémoires»,  etc… Bref, ces concerts furent exceptionnels et s’ils font déjà partie de l’histoire du chœur et de l’Orchestre de Paris, c’est qu’ils eurent un maître hors du commun : Gianandrea Noseda.

Né à Milan en 1964, Gianandrea Noseda dirige régulièrement et avec succès les plus grands orchestres américains ainsi qu’au Metropolitan Opera depuis 2002, notamment pour un “Prince Igor” qui a donné lieu à un magnifique DVD et aussi pour un récent et magnifique «Les Pêcheurs de perles» de Bizet. Il succédera d’ailleurs lors de la saison 2017/2018 à Christoph Eschenbach à la tête de l’Orchestre National de Washington et deviendra dès septembre prochain le premier chef invité du London Symphony Orchestra. Désigné chef de l’année 2015 par un magazine en ligne aux Etats-Unis, il a aussi fait cette même année des débuts remarqués à la fois à la tête de l’Orchestre Philharmonique de Berlin et au festival de Salzbourg dans “Il Trovatore”. Depuis 2007, il est le directeur du Teatro Regio de Turin qu’il a mené à un niveau artistique jamais atteint dans une maison qui n’est ni la Scala ou le San Carlo de Naples, voire l’Académie Sainte Cécile à Rome. Il est aussi premier chef invité de l’Orchestre Philharmonique d’Israël, chef principal de l’Orchestre de Cadaquès, chef émérite de l’Orchestre Philharmonique de BBC, qu’il a dirigé de 2002 à 2011, et directeur artistique du Festival de Stresa.

Invité régulier de l’Orchestre de Paris depuis 2010, il s’agissait, pour le chœur de l’Orchestre de Paris, de la seconde collaboration avec le maestro, la première ayant été un «Alexandre Newski» en juin 2011 qui avait déjà marqué les esprits. Il faut dire que Gianandrea Noseda a beaucoup d’affinités avec le répertoire russe et avec Valery Gergiev, qui en fit son principal chef étranger invité au Mariinsky à Saint Petersbourg pendant 10 saisons.

Ces concerts ont montré les exceptionnelles qualités musicales de ce chef qui dirige à mains nues. Précision, intensité, sens inouï des contrastes, tempi vifs, absence d’effets gratuits, le tout au service de la construction pas à pas d’une véritable interprétation menée avec une impressionnante urgence dramatique. Obtenant de l’orchestre et du chœur des nuances incroyables (le début sortant de nulle part, la fin suspendue laissant le public silencieux pendant de longues secondes, le legato des violoncelles au début de l’Offertoire), sollicitant avec justesse et passion les vents, notamment le basson chaleureux de son compatriote Giorgio Mandolesi, accompagnant avec expertise et tendresse les chanteurs, il a aussi su créer une tension de chaque seconde qui est la marque des grands chefs.

Il n’y pas de bon Requiem de Verdi sans quatuor vocal hors du commun. C’était bien le cas pour ces concerts. La mezzo québécoise Marie-Nicole Lemieux, au timbre somptueux, dominait sans contestation possible cette distribution du haut de son sens dramatique et de son incroyable projection. Ses fa dièses et son la bémol étaient à pleurer. Le jeune ténor albanais formé en Italie, Saimir Pirgu, qui utilisait à merveille les passages d’un registre à l’autre, notamment dans un «Hostias» miraculeux, donnait lui aussi des frissons. La soprano Erika Grimaldi, aux aigus larges et au beau médium, réussissait à exister aux côtés de Marie-Nicole Lemieux et mêlait avec émotion et délicatesse sa voix à celle de sa collègue pour un «Quaerens me» d’anthologie. Quant à Michele Pertusi, même si son chant sonne couvert et l’intonation n’est pas toujours irréprochable, quel métier !

Le grand chef italien Carlo-Maria Giulini, un des interprètes les plus remarquables du Requiem de Verdi, a cessé de diriger quelques mois après des représentations parisiennes dédiées à cette œuvre en janvier 1998 avec le choeur et l’Orchestre de Paris. Décédé en 2005, il appartenait à cette incroyable lignée des grands chefs italiens qui aimaient et dirigeaient comme personne d’autre le Requiem de Verdi : Arturo Toscanini bien sûr, mais aussi Victor de Sabata, Tulio Serafin, Claudio Abbado et plus près de nous Riccardo Chailly, Riccardo Muti et Antonio Pappano. Sans aucun doute, Gianandrea Noseda s’inscrit dans cette lignée et avec quel talent ! Sous sa direction inspirée, ce Requiem est apparu plus fait pour les vivants que destiné aux morts et d’une spiritualité universelle bien au delà même de la foi et c’est là aussi que réside l’incroyable puissance de cette lecture. Et Gianandrea Noseda, homme délicieux, simple, humble et plein d’humour, partage avec ses prédécesseurs un amour viscéral de cette musique, dont témoignait en fin de concert, son geste montrant la partition à un public heureux et encore sous le choc de cette exceptionnelle interprétation.

Grazie mille et bravo Maestro !

Gilles Lesur, le 16 /2/2016

 Photo : Forum Opera

La modeste église San Marco de Milan où fût créé le 22 mai 1874 le Requiem de Verdi sous la direction du compositeur

Eglise San Marco de Milan où fut créé le Requiem de Verdi

PS : Gianandrea Noseda fera les 28 et 20 septembre 2016 l’ouverture de la nouvelle saison du London Symphony Orchestra avec le Requiem de Verdi. Daniela Barcellona et Francesco Meli remplaceront respectivement Marie-Nicole Lemieux et Saimir Pirgu, le reste de la distribution parisienne étant inchangé. Si vous regrettez d’avoir raté ces concerts, rendez-vous au Barbican, voire au Lincoln Center à New York le 30 octobre où ces mêmes interprètes le donneront pour honorer les 50 ans du London Symphony Chorus….!!