Un Requiem en anglais

Parmi la centaine d’opus de Paul Hindemith (1895-1963), compositeur, chef d’orchestre et altiste allemand né près de Francfort, seules les “Métamorphoses symphoniques sur des thèmes de Weber”, la symphonie “Mathis, le peintre” et le concerto pour alto sont parfois entendus en France. Grâce à la curiosité du regretté Gérard Mortier, on a également pu voir en 2005 à l’opéra de Paris “Cardillac”, une œuvre de 1926, dans une belle production dirigée par Kent Nagano et signée d’André Engel. En revanche, le Requiem “For those we love” est une œuvre méconnue qui n’a pas été entendue en France depuis de très nombreuses années. Une fois n’est pas coutume, il en est de même à Vienne au moins pour le Wiener Singverein dont la dernière interprétation de cette œuvre, d’ailleurs sous la direction du compositeur, remonte à près de 55 ans…

Écrit en hommage au président Roosevelt décédé en avril 1945 quelques mois avant la fin de la guerre, ce requiem fut créé le 5 mai 1946 à New York sous la direction de Robert Shaw. Il est vrai qu’Hindemith a trouvé refuge aux Etats-Unis en 1940 après avoir d’abord émigré vers la Suisse pour des raisons politiques. Cette œuvre pour baryton et mezzo-soprano solistes, chœur et orchestre emprunte son texte en anglais au recueil “Feuilles d’herbe” du grand poète américain Walt Whitman (1819-1892). Les poèmes retenus par Hindemith ont été écrits à l’issue de la guerre de Sécession et après l’assassinat d’Abraham Lincoln. Même si Hindemith avait déjà utilisé auparavant l’œuvre de Whitman, l’emploi de ce très beau texte peut aussi être interprété comme un geste de reconnaissance à la patrie accueillante après sa naturalisation américaine obtenue en 1946. Ce requiem est considéré par beaucoup comme un des chefs d’œuvre de Paul Hindemith et comme proche de celui de Brahms. Constitué de 11 pièces alternant les soli du baryton, qui chante également parfois avec le chœur, et les soli de mezzo, dont un conjointement avec le baryton, il évoque successivement, les fleurs, surtout les lilas, les oiseaux, les arbres, la nature, les saisons mais aussi la guerre et la mort… Le final qui rassemble le chœur et les deux solistes évoque les différentes thématiques des pièces précédentes. L’alternance des passages intimes dédiés aux solistes et des passages plus monumentaux où interviennent le chœur est tout à fait dans l’esprit du Requiem de Brahms.

Pas nécessairement facile d’accès, cette musique révèle après plusieurs écoutes ses multiples richesses, une vraie originalité dans l’orchestration et une incontestable poésie bien en accord avec le magnifique texte. Des œuvres postérieures telles que le “War Requiem” de Britten, la “Deutsche Sinfonie” de Hans Eisler ou la “Messe” de Bernstein sont dans la filiation directe de cette étonnante pièce. L’œuvre ultime d’Hindemith sera une Messe pour chœur mixte a cappella créée à Vienne en 1963 par le Wiener Kammerchor dirigé par le compositeur.

Gilles Lesur, juillet 2010

Références discographiques:Plusieurs enregistrements sont disponibles. Celui dirigé par Wolfgang Sawallisch à la tête des Wiener Symphoniker avec Dietrich Fischer-Dieskau, Brigitte Fassbaender et le chœur de l’Opéra de Vienne a été réalisé en public en novembre 1983 dans la grande salle du Musikverein (Orfeo).

Les trois autres sont, l’un chez Berlin Classics (Gunther Leib, Annelies, Burmeister, Berlin Radio Symphony Orchestra, Berliner Rundkunks Chor, direction, Helmut Koch), le second chez Wergo (Krister St Hill, Cornelai Kallisch, Berlin Radio Symphony Orchestra and Chorus, direction, Lothar Zagrosek) et le dernier chez Telarc (William Stone, Jan de Gaetani, Atlanta Symphony Orchestra and Chorus, direction, Robert Shaw).