Un Écossais à Paris

Lundi 8 février, de nombreux amis d’Arthur Oldham sont présents au Théâtre des Champs-Elysées pour écouter le Maestro Denève*. De passage à Paris avec l’Orchestre national royal d’Écosse dont il est directeur musical depuis 2005, Stéphane et ses musiciens ont mis à leur programme Fauré, Sibelius et Dvorak. La salle est pleine d’Ecossais mais aussi d’admirateurs d’Hilary Hahn, l’immense violoniste qui accompagne cette tournée européenne. Elle joue ce soir le concerto de Sibelius et dans 2 jours, à Vienne, le premier concerto de Prokoviev. Le “Pelléas et Mélisande” qui commence ce concert n’est pas l’œuvre la plus jouée de Fauré. Ecrite pour être interprétée lors d’une représentation du “Pelléas et Mélisande” de Maeterlinck à Londres en 1898, elle recèle tout l’esprit d’un Fauré de la maturité, une lumière un peu tamisée, un calme apaisé et des harmonies subtiles presque troubles. L’orchestre sonne bellement avec une harmonie riche et des cordes douces et présentes à la fois et au bel unisson. Ce qui frappe d’emblée, c’est la qualité d’ensemble et d’écoute de ce très bel orchestre.

Après ce début intimiste et de bon augure, Hilary Hahn se présente dans une longue robe noire, superbe et aérienne. Dans le concerto de Sibelius (1905), au début si fascinant, elle crée d’emblée un climat chambriste qu’elle va maintenir tout au long de son interprétation. La musicalité, la sonorité et le phrasé sont constamment au service de cette incroyable musique. La justesse est absolue, faisant démentir Saint-Saëns qui disait un peu méchamment « Tous les violonistes jouent faux, mais certains exagèrent »… Stéphane Denève peaufine un accompagnement d’une réelle beauté sonore tout en dialoguant avec la soliste sans la brider ou chercher à la dominer. Il entre ainsi dans la conception intimiste de l’œuvre ce qui ne l’empêche pas de solliciter avec énergie les graves de l’orchestre faisant notamment ressortir les extraordinaires traits de basson de cette musique à nulle autre pareille. Dans le final, Hilary Hahn, plus lyrique, démontre son extraordinaire virtuosité mais sans jamais oublier de faire de la musique. Décidément une immense artiste ! En bis, elle offre spontanément et avec une belle simplicité deux Bach sublimes.
En seconde partie, la symphonie n°8 de Dvorak (1889) apparaît naturellement moins moderne et visionnaire que le concerto de Sibelius. Mais cette belle œuvre, très classique dans sa construction et aux thèmes infinis, permet aussi de mettre en valeur un orchestre et un chef. Un orchestre capable de pianissimi très impressionnants, dont les violoncelles chantent magnifiquement, notamment dans le premier mouvement, aux contre-chants d’altos et à l’harmonie lisibles et avec quelques belles individualités, notamment la flûte. Quant au chef, il a une vision, du souffle, un geste précis et efficace et sait faire entendre toute la partition. Seule petite réserve, un problème d’équilibre cordes/cuivres sans doute majoré dans cette salle à l’acoustique sèche et qui fait penser à ce que disait Richard Strauss dans ses conseils à un chef d’orchestre « Ne regardez pas trop les cuivres, ils jouent déjà trop fort ! » L’entente entre le chef et l’orchestre est au plus haut niveau avec des regards complices, des incursions presque physiques dans l’orchestre et l’extrême réactivité aux gestes du chef. En bis, Stéphane Denève et ses musiciens nous offrent une danse slave de Dvorak très tonique puis « Eightsome Reels », une pièce de folkore écossais tout de suite adoptée par le public parisien qui frappe d’emblée dans ses mains et en rythme. Bravo Maestro Stéphane ! Et reviens nous dès que possible.

Gilles Lesur
* Stéphane Denève a été pendant de longues années, le chef de chant du Chœur de l’Orchestre de Paris alors dirigé par son fondateur, Arthur Oldham (ndlr).

Paris, Théâtre des Champs-Elysées, 8 février 2010, Royal Scottish National Orchestra, Stéphane Denève, direction, “Pelléas et Mélisande”, musique de scène op. 80 de Fauré, Concerto pour violon et orchestre en ré majeur op. 47 de Sibelius, Hilary Hahn, violon et Symphonie n° 8 en sol majeur op. 88 de Dvorák