Il est des expériences qu’il n’est pas facile de raconter car traduire l’émotion et la richesse de certains moments musicaux rares se heurte toujours aux mots. Je vais néanmoins tenter de vous faire partager l’extraordinaire dimanche 27 mars que je viens de vivre à Birmingham.
La plupart d’entre vous connaissent cette ville sans doute avant tout par son orchestre dirigé pendant près de 20 ans par Sir Simon Rattle. Et vous connaissez également Simon Halsey, le grand chef de chœur anglais que Rattle avait choisi pour diriger le chœur de l’Orchestre Symphonique de Birmingham dès 1982. J’étais donc ce dimanche au «Symphony Hall» de Birmingham en présence d’environ 1600 anglais, de deux allemands et trois françaises pour chanter «Zadok the Priest» de Haendel et le Requiem de Fauré. J’entends d’ici les puristes et autres gardiens du temple s’étonner de ce nombre de chanteurs, mais n’oublions pas que Haendel voyait parfois très grand. Quant à Fauré, why not ?
Le nombre n’est pas l’essentiel, mais la qualité l’est. Il s’agissait donc d’un des désormais célèbres «Singalongwith the City of Birmingham Symphony Orchestra» inventés par Simon Halsey à Birmingham et par la suite exportés par ce dernier à Berlin depuis 2003. L’idée est de réunir pendant une journée des chanteurs amateurs volontaires et non sélectionnés autrement que sur leur seul désir et de les préparer au plus niveau en un minimum de temps (une répétition piano/chef et une générale) pour un concert donné le jour même. Fragiles de la glotte et fatigués chroniques s’abstenir ! Le moment le plus incroyable de cette folle journée était sans doute la première rencontre de tout ce «petit» monde lors de la répétition chœur/piano. Simon Halsey, 52 ans et qui en paraît 10 de moins, débute la répétition à 1.30 p.m. pile. Après quelques échauffements toniques et rapides, il attaque Haendel, un morceau festif plein de «royale» signification pour les sujets de Sa Majesté. Et le résultat sonore est d’emblée impressionnant avec un son évidemment puissant mais également juste et noble évoquant un orgue humain de la plus grande qualité et aux infinies résonances. Il faut dire que l’incroyable acoustique de cette salle participe au plaisir sonore. Après cette première prise de contact, le travail en profondeur peut commencer. Et débute alors une incroyable démonstration de professionnalisme apportée par un Simon Halsey qui évidemment maîtrise parfaitement les partitions ainsi que leurs pièges et qui, avec une énergie constante et une autorité naturelle, construit son interprétation. Car il est ici hors de question de ne pas viser la plus haute qualité. Tout cela est fédéré avec une évidente empathie naturellement sincère et des touches répétées d’humour qui déclenchent régulièrement l’hilarité générale. Car Simon Halsey, avec son incroyable charisme, sait y faire et sait tout faire. On sent chez ces chanteurs, qui n’ont pour la plupart plus 20 ans, une joie palpable de participer à cette fête du chant collectif. Et le miracle se produit car la musique est là, d’emblée festive pour Haendel et spirituelle pour Fauré. Les choses reprennent après la pause et une incontournable «cup of tea». L’Orchestre Symphonique de Birmingham est maintenant sur scène ainsi que les jeunes du «City of Birmingham Symphony orchestra Young chorus», une des nombreuses formations chorales nées de la volonté de Simon Halsey qui, non content d’avoir porté le chœur d’adultes au plus haut niveau, a également crée trois autres chœurs à Birmingham. Ces jeunes, essentiellement des jeunes filles, vont chanter avec précision, justesse et par cœur le «Pie Jesu». Leur tenue sur scène est une des fiertés de Simon Halsey. Et le résultat musical est à l’image de leur attitude générale qui à la fois témoigne et génère concentration et sens du collectif. Belle idée que d’associer ces jeunes à ces moins jeunes ce qui multiplie encore les résonances de cette journée exceptionnelle. L’orchestre en place, la tâche devient plus ardue pour Halsey qui doit se tourner vers la salle où sont les chanteurs en même temps que diriger l’orchestre. Mais rien n’est impossible pour cet anglais déterminé et talentueux. La représentation débute à 7 p.m. en présence d’environ 500 auditeurs placés dans les quelques places laissées vides. L’ambiance est évidemment électrique et Haendel sonne avec toute la gloire et le feu nécessaire à cette musique de fête alors que le Fauré, donné dans des tempi assez allants, trouve cette belle lumière apaisée et sereine qui en est la marque.
Simon Halsey est manifestement heureux. Heureux d’être ici chez lui à Birmingham, heureux de permettre à ces amateurs qu’il aime et respecte de faire de la musique au plus haut niveau, heureux de beaucoup donner comme de recevoir de chaque participant. Et il n’est pas le seul à avoir pris du plaisir au plus haut niveau d’exigence artistique.
Si, malgré mes propos, vous n’êtes pas convaincus, allez tenter l’expérience de l’intérieur. Je m’engage à rembourser les insatisfaits… Et sachez qu’à Berlin où l’on sait ce que chanter en groupe veut dire l’équivalent des «Singalong» à savoir les «Mitsingkonzerte» remportent depuis 2003 un succès grandissant à tel point que le modèle s’exporte maintenant à Köln et Dortmund et Leipzig. Si seulement Simon Halsey passait un jour par Paris…
Gilles Lesur