Sakari Oramo fait partie de ces nombreux chefs d’orchestre finlandais de grand talent élèves de JormaPanula. Violoniste de formation, il intègre à 24 ans la classe de direction d’orchestre de l’Académie Sibelius dirigée par Panula et devient célèbre quatre ans plus tard en remplaçant un chef souffrant à la tête de l’Orchestre Symphonique de la Radio Finlandaise. Peu présent en France (sa dernière apparition remonte à 2003 avec l’Orchestre de Paris), il fait l’essentiel de sa carrière en Europe, surtout du nord et en Allemagne, notamment à Berlin ou il dirige régulièrement le « Berliner Philharmoniker ». En 1998 il a succédé à Simon Rattle à la tête du « City Birmingham Symphony Orchestra » laissant la place en 2008 au prometteur chef letton Andris Nelsons. Depuis son départ de Birmingham, il occupe les fonctions de principal chef invité. Il a été l’un des acteurs d’un ambitieux projet de diffusion de la musique symphonique à l’école émanant des huit plus grands orchestres britanniques et visant à permettre à tous les écoliers britanniques d’assister gratuitement à des concerts symphoniques. Tout en étant depuis 2003 en charge des destinées de l’Orchestre Symphonique de la Radio Finlandaise, il vient d’être nommé chef de l’Orchestre Philharmonique Royal de Stockholm. Les Suédois ont décidément de la chance puisqu’un certain Gustavo Dudamel est depuis 2007 directeur de l’Orchestre Symphonique de Göteborg.
Au programme de ce concert du 5 juin, « La Mer » de Debussy et « Le Chant de la terre » de Mahler. Au-delà de l’évident rapprochement des éléments naturels, cette programmation intelligente qui juxtapose deux œuvres majeures presque contemporaines du début du XXe siècle mais aux esthétiques radicalement différentes, se révèle passionnante non seulement d’un point de vue théorique mais surtout musical. Un tel programme met également en évidence l’immensité et la variété du talent de SakariOramo et de ses musiciens. « La Mer » de Debussy, qui date de 1905, sonne ici merveilleusement juste avec ce mélange de précision et de liberté et ces dialogues inhérents à cette toujours étonnante musique. SakariOramo, certainement familier de cette musique, dirige par cœur, la partition modestement posée sur le pupitre, avec une gestique dynamique et souple à la fois, suggérant avec empathie, nuances, enchaînements, ruptures et contrastes. En un mot, il restitue à ses musiciens et donc au public tout l’esprit de l’œuvre. Dans cette belle salle rectangulaire, l’Orchestre Philharmonique Royal sonne superbement avec un évident plaisir collectif de jouer. Les cordes, sans atteindre le niveau des orchestres allemands sont d’une grande beauté, notamment les violoncelles et les contrebasses qui ronflent avec suavité et présence, l’harmonie est d’une légèreté et d’une transparence toute debussyste et les cuivres soutiennent le discours sans jamais l’alourdir ou masquer la richesse de timbres et de rythmes de l’œuvre. Dans le final, l’exposition du thème aux bois est tout simplement miraculeuse et la construction progressive vers la tenue finale trillée des cuivres et le coup de timbale terminal sont tout simplement jubilatoires. Avec cette lecture intense et passionnée, Oramo rejoint les interprètes majeurs de « La Mer », rien moins que Toscanini, Munch, Haitink, Abbado et Gergiev.
En seconde partie, SakariOramo déchaîne les éléments du « Chant de la Terre », une œuvre écrite en 1908 mais qui ne sera créée qu’après la disparition du compositeur par l’ami Bruno Walter. Cette œuvre sombre est notamment le reflet de la période noire que traverse Mahler car, au décès de sa fille, s’ajoutent d’importants problèmes cardiaques tout juste diagnostiqués et son récent congé de l’Opéra de Vienne. SakariOramo déchaîne tellement ces éléments que dans le premier lied il en oublierait presque Torsten Kerl, ténor suédois pourtant doté d’une belle et puissante voix. Plus tard, les équilibres entre les voix et l’orchestre se font sans difficulté. Jane Irwin à la lourde tâche de chanter la partie de contralto. Elle semble comme gênée par un tract palpable étonnant chez une chanteuse expérimentée. Ses limites vocales dans l’aigu où la justesse n’est plus au rendez-vous rendent sans doute compte de cette crispation dans une partition si difficile. Elle peine même à habiter les « ewig » de l’extraordinaire « Abscheid » final, tout embarrassée qu’elle est à tourner les pages de sa partition.
Ceux qui voudront écouter tout Mahler avant 2011 (année du centenaire de la disparition du compositeur qui se prépare déjà partout) pourront venir à Stockholm en mars 2010, année du cent cinquantenaire de sa naissance, car une intégrale sur 10 jours est d’ores et déjà programmée. Point d’orgue incontestable de ce festival « La Symphonie des Mille » dirigée par SakariOramo le 19 mars 2010. A vos agendas… Et pour éviter les redites, c’est la version orchestrée par Schoenberg et Webern du « Chant de la terre » qui sera donnée. Quand je vous dis qu’à Stockholm la programmation est intelligente…
Gilles Lesur
Debussy, « La Mer », Gustav Mahler, « Le chant de la terre », Jane Irwin, Torsten Kerl, Orchestre Philharmonique Royal de Stockholm, Stockholm Konserthuset, 5 juin 2009.