Le Rinaldo de Brahms

Rinaldo est une cantate pour ténor solo, choeur d’hommes à 4 voix et orchestre de Johannes Brahms très rare au concert et c’est fort dommage.

Sa composition a été débutée par Johannes Brahms en 1863 suite à une commande d’un concours choral d’Aix la Chapelle dédié aux seuls chœurs d’hommes. Brahms commença sans doute à penser à une oeuvre sur cette thématique après avoir dirigé en 1859 la Première Nuit de Walpurgis de Mendelssohn, une pièce inspirée de Goethe. En effet, Rinaldo utilise un texte dramatique du même nom, publié par Goethe en 1811, et retraçant un épisode épique de la Jérusalem délivrée du Tasse, le poète italien né à Sorrente en 1544. En résumé, Rinaldo, pris dans les filets d’Armide, n’arrive pas à s’en libérer tandis que ses compagnons les chevaliers (le choeur d’hommes) cherchent à le convaincre de les rejoindre et de quitter la magicienne Armide, un rôle ici muet. Ce qui a probablement séduit Brahms est la simplification que fait Goethe du texte du Tasse rendant celui-ci plus facile à traduire musicalement.

Johannes Brahms n’acheva l’œuvre qu’en 1868, après le succès de son Requiem allemand, en y adjoignant un choeur final. L’effectif orchestral de Rinaldo est d’ailleurs identique à celui du Requiem. La première a lieu à Vienne le 28 février 1869 sous la direction du compositeur, avec un chœur d’étudiants de 300 chanteurs (!), des membres de l’orchestre de la cour de Vienne et un ténor du nom de Gustav Walter. La pièce est très mal accueillie à sa création, hormis par Theodor Billroth, l’ami chirurgien et violoniste de Brahms. Même Eduard Hanslick, le grand critique habituellement favorable à Brahms, est sévère et Clara Schumann s’interroge elle aussi sur le bien fondé de jouer cette musique. Et par la suite aussi cette pièce, pourtant passionnante, n’a jamais vraiment obtenu de succès alors qu’elle laisse imaginer ce que Brahms aurait pu écrire s’il s’était lancé dans la composition d’un opéra. Certains passages évoquent en effet les opéras de Schubert, le Fidelio de Beethoven, le Freischütz de Weber mais aussi les oeuvres orchestrales de Schumann. Quant au choeur final, que l’on sait plus tardif, il annonce sans aucun doute les choeurs des Gurrelieder de Schoenberg. Toutefois, l’orchestration, l’utilisation des bois et la superbe écriture chorale à quatre voix de ce Rinaldo sont typiques du style du compositeur hanséatique.

Requérant un “heldentenor” et un chœur de qualité, cette œuvre a très rarement les honneurs du concert, même à Vienne où par exemple le Wiener Singverein ne l’a jamais donné. Idem à Berlin où c’est le grand Claudio Abbado, on le sait amoureux de Brahms, qui l’a fait rentrer au répertoire des Berliner Philharmoniker en mai 2010 avec rien moins que Jonas Kaufmann et les chœurs de la Radio de Berlin et Munich réunis tout en programmant dans le même concert des extraits des Gurrelieder…

A la fin des années 70, ce même Claudio Abbado avait déjà gravé l’œuvre pour Decca avec le New Philharmonia Orchestra (celui de Klemperer), James King et The Ambrosian Chorus, un enregistrement qui reste la référence absolue. On trouvera néanmoins d’autres enregistrements, non sans qualités, signés notamment de Bertrand de Billy, Helmut Rilling, Michel Plasson, Gerd Albrecht et Guiseppe Sinipoli, le plus souvent en compagnie de ténors héroïques tels Johan Botha avec de Billy ou René Kollo avec Sinopoli.

Une œuvre magnifique, puissante et qui a du souffle, à découvrir d’urgence et que l’on aurait plaisir à entendre un jour à Paris, pourquoi pas couplée au superbe Kullervo de Sibelius auquel cette cantate fait incontestablement penser, ou aux Nocturnes de Debussy, histoire de ne pas faire de jaloux dans le choeur… Un peu d’imagination dans les programmations parisiennes ne ferait pas de mal….

Gilles Lesur, le 15/9/2017

A voir et écouter gratuitement le passionnant entretien réalisé en 2010 par le grand chef de choeur anglais Simon Halsey à propos de la production berlinoise de Rinaldo évoquée plus haut https://www.digitalconcerthall.com/en/home