Quelques semaines après son inauguration il n’est pas trop tôt pour tenter un premier bilan, évidemment provisoire, de la Philharmonie de Paris.
On le sait l’architecte Jean Nouvel n’a pas assisté à l’inauguration et il a écrit pourquoi dans le journal «Le Monde». Depuis il a attaqué la maîtrise d’ouvrage en justice estimant qu’une partie de son travail n’avait pas été respecté et réclame donc des mises en conformité. Et quoi qu’en disent des journalistes mal informés et/ou mal intentionnés il ne s’agit pas d’un caprice de star. Quel peintre, quel musicien, quel écrivain, quel cinéaste accepterait que son œuvre soit tripatouillée par des non connaisseurs ? Et l’architecture, certains l’oublient, est un art. Certes, l’erreur a sans doute été d’ouvrir à tout prix le 14 janvier car une inauguration en septembre aurait permis de terminer le chantier, d’éviter de nombreux désagréments pour le public comme pour les musiciens et aussi ce procès qui fait tout de même désordre et gâche la fête. Le jugement sera rendu le 16 avril…Mais quel que soit ce jugement, il y a dès maintenant beaucoup de raisons de se réjouir de disposer (enfin !) de cet équipement.
L’un des constats les plus réjouissants est certainement que le public est au rendez-vous. Les journées portes de mi-janvier ouvertes ont dû refuser du monde et tous les concerts depuis sont pleins, y compris ceux de l’Ensemble InterContemporain ! Mais n’oublions pas tout de même que dans les villes étrangères comparables les concerts sont souvent donnés trois ou quatre fois. Il y a donc encore énormément de chemin pour élargir encore et renouveler le public qui semble toutefois plus jeune qu’à la salle Pleyel. Autre bonne nouvelle, le public est bien installé à la Philharmonie de Paris les fauteuils sont confortables et la place pour les jambes conséquente. Il est probable que le public va s’habituer à ce confort et sans doute va-t-il bientôt trouver d’autres salles du siècle dernier moins agréables…suivez mon regard ! Et si les avis divergent sur l’architecture extérieure, les accès et les espaces autour de la salle, l’unanimité sur la salle est acquise toutes et tous la trouvant belle et agréable ce qu’elle est effectivement.
Une autre bonne nouvelle est que l’acoustique satisfait les musiciens. Esa Pekka Salonen, après un magnifique «L’enfant et les Sortilèges» début février, s’en est le premier ouvert sur Tweeter en plaisantant à propos de l’absence de salle de cette qualité à Londres. Cet argument a été repris il y a quelques jours par Simon Rattle qui, pour sa venue à Londres à la tête du LSO en 2017, espère une salle moderne et qui a fait savoir qu’il considérait la Philharmonie de Paris comme une des plus belles acoustiques du moment. D’ailleurs, des informations récentes directement venues de Londres laisseraient à penser que la construction d’une nouvelle salle serait en voie d’être actée.
En revanche, il semble que la perception en termes d’acoustique des spectateurs soit variable, certaines places semblant moins favorables que d’autres. C’est en particulier le cas des places dédiées au chœur, où le son de certains instruments semble atténué, et de certaines places du premier balcon où les chanteurs solistes sont peu audibles. Il y aura donc certainement quelques réglages acoustiques à prévoir. Toutefois, on remarquera que le brillant ténor américain Bryan Hymel qui participait au Requiem de Berlioz du 6 février n’avait pas de problème à se faire entendre de toute la salle. Il est vrai qu’il était placé au sein de l’orchestre : une piste à étudier ? Cette salle serait-elle moins favorable aux voix graves et/ou aux voix moins puissantes ? Il faudra donc encore du temps pour répondre à ces questions et progresser sur l’acoustique qui, on l’espère, deviendra plus uniforme ce qui est une des caractéristiques de toutes les bonnes salles de concert. Mais on sait aussi que l’acoustique d’une salle met du temps, même hors réglage, à « se faire ».
Autre bonne nouvelle : la grande salle se prête à toutes sortes de musiques et entendre il y a quelques jours «Le bourgeois gentilhomme» de Strauss en petit effectif était un grand bonheur, comme l’était il y a quelques semaines l’écoute de «Dérive» de Boulez par 12 musiciens du Divan Orchestra ou de Wagner par les 140 musiciens du «Simon Bolivar Orchestra». La musique baroque et la musique contemporaine semblent aussi avoir trouvé un écrin bien adapté à leurs contraintes spécifiques. De plus, les chœurs y sonnent bien et Orfeón Donostiarra en grand effectif «passait» largement l’Orchestre National du Capitole de Toulouse dans le « Requiem » de Berlioz ce que ne faisaient toutefois pas les 80 chanteurs du chœur de la Radio Néerlandaise dans la seconde symphonie de Mahler avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin. On a aussi pu entendre avec bonheur les fanfares de cuivres du Requiem de Berlioz disséminées aux quatre coins de la salle avec une belle spatialisation du son et sans ni saturation, ni écho. De même, « La Jeanne d’Arc au Bûcher » d’Honegger donnée par le Chœur et l’Orchestre de Paris sous la direction du jeune et talentueux chef japonais Kazuki Yamada a été un grand succès. La disposition sur scène, différente de celle d’un concert traditionnel, a montré pour la première fois toutes les infinies possibilités de cette salle que le monde entier commence à nous envier. On attend avec impatience l’inauguration de l’orgue prévue en septembre et on espère entendre bientôt ces œuvres à grand effectif que l’on ne pouvait plus donner de manière satisfaisante à Paris (Gurre-Lieder de Schoenberg programmés le 19 avril 2016, Huitième symphonie de Mahler on espère très bientôt,…).
Autre bonne nouvelle, le fait d’avoir à disposition de multiples salles de répétition, dont une grande qui sert aussi de salle de concert, toutes très agréables au point de vue acoustique comme esthétique, permet une programmation riche. A l’évidence, cette structure multimodale permet aussi les contacts entre les différents ensembles résidents et il n’est pas difficile d’imaginer que ces rencontres dans les couloirs se transformeront bientôt en rencontres artistiques pour le plus grand bonheur du public. En parlant le soir de l’inauguration de « maison de la musique » Renaud Capuçon avait vu parfaitement juste.
Raoul Naudin