Orfeón Donostiarra, un coro fenomenal…

«L’un des plus beaux chœurs du monde, tout simplement…», c’est en tout cas ce qu’écrit sur Concert Classic et à chacun des passages à Paris d’Orfeón Donostiarra, Alain Cochard. Pour mieux comprendre, un retour en arrière et quelques explications s’imposent.

Orfeón Donostiarra est un chœur amateur fondé en 1897 à San Sebastian (Donostia en langue basque) par Luzuriaga y Oñate. D’abord exclusivement composé d’hommes, il est devenu en 1909 un chœur mixte. Depuis sa création, il n’a connu que quatre directeurs : Secundino Esnaola (1902-1929), Juan Gorostidi (1929-1968), Antxon Ayestarán (1968-1986) et depuis 1987 José Antonio Sainz Alfaro. Après un rayonnement d’abord local, puis rapidement national, Orfeón Donostiarra acquiert à partir des années 1950 une reconnaissance internationale, avec par exemple en 1957 une participation à un «Requiem» de Brahms au Théâtre des Champs Élysées sous la direction du chef espagnol Ataulfo Argenta et en 1962 à une «Atlantide» de Manuel de Falla à Edimbourg avec Igor Markevitch. Mais c’est Antxon Ayestarán, le troisième directeur qui va véritablement hisser Orfeón Donostiarra à un niveau professionnel, objectif atteint à partir du début des années 1980. C’est d’ailleurs sous la direction d’Antxon Ayestarán qu’Orfeón Donostiarra fait ses premières apparitions à la Philharmonie de Berlin (Carmina Burana avec Rafael Frühbeck de Burgos en janvier 1973), puis au Royal Festival Hall (1980), avant de partir en tournée aux États-Unis (1980), en Israël (1982) et en URSS (1986). C’est également à cette époque que paraissent les premiers enregistrements pour EMI et qu’Orfeón Donostiarra devient invité régulier des prestigieux festivals de Grenade, San Sebastian, Santander,  Peralada et de salles prestigieuses telles que l’Auditorium de Madrid et le «Palau de la Musica» de Barcelone.

Le 22 décembre 1986, la disparition brutale d’Antxon Ayestarán à seulement 47 ans est un choc pour tous. José Antonio Sainz Alfaro, dit «Sani», physicien de formation, baryton à Orfeón Donostiarra depuis 1974 et formé comme assistant par Antxon Ayestarán, est nommé directeur en 1987. Sani va faire franchir à Orfeón Donostiarra une nouvelle étape vers encore plus d’excellence et de rayonnement. Il poursuit le travail initié par son prédécesseur, élargit le répertoire et étoffe la structure en y adjoignant un chœur d’enfants et un chœur d’adolescents, viviers pour le chœur d’adultes. Il instaure avec Michel Plasson et l’Orchestre du Capitole de Toulouse une collaboration régulière et initie une active politique d’enregistrements, dont beaucoup seront bientôt récompensés par des prix. Dès lors, les engagements internationaux se succèdent au plus haut niveau. En 1992, Orfeón Donostiarra chante lors de l’exposition universelle de Séville avec Lorin Maazel et l’Orchestre de Pittsburgh, puis participe à la récréation à Toulouse du «Mors et Vita» de Gounod et à une tournée que font en 1993 en Espagne, Zubin Mehta et l’Orchestre Philharmonique d’Israël.

En 1997, année du centenaire, les collaborations sont particulièrement exceptionnelles avec un «Oedipus Rex» donné avec le Los Angeles Philharmonic Orchestra dirigé par Esa Pekka Salonen, un concert Verdi avec Riccardo Muti et l’Orchestre de la Scala, la réouverture du «Teatro Real de Madrid» avec la «Vida Breve» et une première collaboration avec Claudio Abbado pour une symphonie «Résurrection» à Madrid, encore dans toutes les mémoires. Cette première rencontre séduit Claudio Abbado qui dirigera de nouveau Orfeón Donostiarra à Berlin pour le concert de la Saint-Sylvestre 1997 dédié à l’Espagne et le «Requiem» de Verdi du centenaire Verdi en 2001, pour l’ouverture du Festival de Lucerne en 2003 avec une «Résurrection» devenue légendaire et à Caracas en 2006 pour une «Neuvième» de Beethoven avec le Simon Bolivar Orchestra. Entre temps, Orfeón Donostiarra participe en 1999 au Festival de Salzbourg à six représentations de «La Damnation de Faust» mis en scène par la «Fura del Baus» sous la direction de Sylvain Cambreling  et à un «Requiem» de Berlioz dans le cadre du «Festival de la Ruhr» en 2004. En 2006, Orfeón Donostiarra chante la «Neuvième» à Séville et sur la «Plazza Mayor» de Madrid avec le “West-Eastern Divan Orchestra” et Daniel Barenboïm, qui avait déjà dirigé l’ensemble dans la «Messe en fa» de Bruckner à Berlin à l’automne 2001.

En 2007, pour les 110 ans de l’ensemble, un grand concert gratuit donné dans le vélodrome de San Sebastian réunit 10000 auditeurs et fait l’objet d’un DVD. Cette même année anniversaire, Orfeón Donostiarra donne par deux fois la symphonie «Résurrection» avec l’Orchestre Philharmonique de Berlin et Sir Simon Rattle aux Canaries pour l’inauguration de l’auditorium de Tenerife construit par Santiago Calatrava. On raconte que Simon Rattle, présent dans le public quelques années auparavant à Salzbourg pour «La Damnation de Faust» et très enthousiasmé par Orfeón Donostiarra, souhaitait depuis collaborer avec cet ensemble. Par ailleurs, au départ de Michel Plasson de Toulouse, Tugan Sokhiev est d’emblée séduit par la qualité et l’esprit de ce chœur comme par la personnalité de son chef. Cette entente artistique et humaine, mêlée de respect et d’admiration réciproques, donne d’emblée lieu à de nombreuses collaborations («en parfaite osmose» comme le dit Tugan Sokhiev) dans quelques-uns des chefs d’œuvre du répertoire, tels que la «Symphonie de Psaumes» (2006) et «Alexandre Newski» donnée à Toulouse (2006), Paris (2009) et San Sebastian (2010), le «Requiem» de Verdi à San Sebastian et Toulouse en 2007, «La Damnation de Faust» à Toulouse en 2010, à Toulouse et Paris en 2013 et à San Sebastian en 2014,  le «Requiem» de Verdi en 2008 et 2016 et la «Neuvième» en 2011 au Théatre Antique d’Orange, le Requiem de Berlioz en janvier 2015 à la Philharmonie de Paris, à San Sebastian en mai 2016 et à Oviedo en juin 2016, “Roméo et Juliette” de Berlioz en avril 2016 et en décembre 2016  le Requiem allemand  de Brahms à Toulouse.

Orfeón Donostiarra est aussi le chœur attitré de la «Quincena Musical» de San Sebastian, le plus ancien festival de musique classique d’Espagne fondé en 1939, qui accueille chaque année les meilleurs orchestres et chefs de la planète. Ainsi, lorsque sont invités à San Sebastian David Robertson (La Damnation de Faust, Orchestre National de Lyon, 2001), Daniele Gatti (Requiem, Verdi, Royal Philharmonic Orchestra, 2001), Marek Janowski (Messe en fa, Bruckner, Orchestre de la Radio de Berlin, 2002), Lorin Maazel (Symphonie Résurrection, Orchestre Philharmonique d’Israël, 2002), Zubin Mehta (Neuvième, Orchestre du Mai musical florentin, 2008), Valery Gergiev (Roméo et Juliette, Berlioz, Orchestre du Théâtre Marinsky, 2010), Michaël Pletnev (Les Cloches, Rachmaninov, Orchestre National de Russie, 2010), Yannick Nézet-Séguin (Orchestre Philharmonique de Rotterdam, Troisième symphonie de Mahler 2011, Requiem de Verdi 2014), Mark Elder (Messe Glagolitique, Orchestre Hallé, 2012), Yuri Temirkanov (Orchestre de Saint Petersbourg, Ivan le Terrible en 2012 et Alexandre Newski en 2015), Jonathan Nott (Symphonie de Psaumes, Orchestre de Bamberg, 2012), Robin Ticciati (Requiem de Fauré, Orchestre de chambre d’Ecosse, 2013), Jukka Pekka Saraste (Orchestre de la Radio de Cologne, Neuvième symphonie 2011, Requiem Allemand, 2015) ces derniers programment volontiers des œuvres avec chœur. En 2005, Orfeón Donostiarra participe à San Sebastian avec d’autres chœurs espagnols à la «Symphonie des Mille» de Mahler sous la direction de Victor Pablo Pérez. Il y aussi ces nombreuses invitations, soit ponctuelles (Festival de Montreux 1999, Festival de Peralada 2000, Festival de Saint-Denis 2006, Vienne 2007, Francfort 2009), soit régulières dans le cadre de festivals à Santander (2006, 2008, 2009, 2015-2017), Cuenca (2007, 2011, 2013), aux Canaries (2005, 2007, 2008) ou à l’étranger (Montpellier 2011, 2012, 2014, 2015). Et puis, il y eut aussi cette incroyable invitation par Riccardo Chailly, qui attendait l’occasion de travailler avec cet ensemble depuis plusieurs années, pour une “Huitième” de Mahler donnée avec l’Orchestre Giuseppe Verdi de Milan au Palais des Sports de cette ville les 26 et 28 novembre 2013. Et cette participation au Festival de Lucerne 2016 puisque Riccardo Chailly a souhaité inviter Orfeón Donostiarra pour son premier concert comme directeur musical et a programmé pour l’occasion rien moins que la Huitième symphonie de Mahler. Un succès n’arrivant jamais seul, Orféon Donostiarra participera en mars 2018 à Bruxelles et à Rotterdam à une nouvelle interprétation de la symphonie des Mille avec cette fois Yannick Nézet Séguin qui a choisi cette oeuvre et ce choeur qu’il aime beaucoup pour faire ses adieux comme directeur de l’Orchestre Philharmonique de Rotterdam.

Parmi les œuvres les plus souvent chantées par Orfeón Donostiarra, on trouve Carmina Burana (y compris une fois en présence du compositeur!), la «Neuvième» de Beethoven, les «Requiem» de Verdi, Fauré, Brahms et Mozart, la symphonie «Résurrection», véritable carte de visite d’Orfeón Donostiarra (enregistrée avec  Claudio Abbado et Paavo Järvi), la symphonie N°2 dite «Lobgesang» de Mendelssohn et bien entendu “La vida breve” de de Falla, enregistrée avec Victoria de Los Angeles et régulièrement donnée depuis, par exemple et avec très grand succès en juin 2013 à Toulouse sous la baguette experte de Josep Pons. L’immense répertoire d’Orfeón Donostiarra n’empêche pas son directeur actuel de continuer de l’enrichir avec la «Messe Sainte Cécile» de Gounod chantée pour la première fois le 30 décembre 2011 à Bilbao, le «Stabat Mater» de Poulenc donné avec grand succès à Lyon en janvier 2011 ou la «Messe Glagolitique» de Janacek donnée pour la première fois à San Sebastian en août 2012. Et Orfeón Donostiarra a également à son répertoire des œuvres françaises jamais ou trop rarement données, par exemple «Rédemption» et les «Béatitudes» de Franck, la «Missa cum Jubilo» de Duruflé, «Le Roi David» et «Jeanne d’Arc au bûcher» d’Honegger, la troisième symphonie avec chœurs de Ropartz, “Résurrection” de Roussel ainsi que quelques autres raretés («Missa Solemnis» de Cherubini, «Christus» de Liszt, «The Dream of Gerontius» d’Elgar, «Le Mystère de la Nativité» de Frank Martin). Plus surprenant, cet ensemble possède également à son répertoire de nombreux opéras (Otello, Nabucco, Un Bal Masqué, Carmen, La Flûte enchantée, Fidelio, Boris Godounov donné triomphalement à Toulouse, Paris et en Espagne début 2014, Parsifal, Œdipe d’Enesco et de manière plus naturelle de très nombreuses zarzuelas.

Lorsqu’on a eu la chance d’entendre Orfeón Donostiarra en direct, il est assez facile d’en reconnaître le son assez unique, toujours remarquable de justesse, de précision et d’engagement. Il s’y ajoute une capacité vraiment inouïe (au sens premier du terme) à faire d’incroyables nuances allant du plus impalpable pppp au plus décoiffant fffff, une qualité qui avait d’emblée séduit Claudio Abbado et impressionne tous les chefs invités. Sans oublier la beauté unique des timbres qui se mélangent sans s’anéantir. A des voix de femmes précises et claires s’associent des ténors puissants, vaillants et lumineux et des basses sonores aux abîmes souvent somptueux. Enfin, Orfeón Donostiarra c’est aussi un sens du collectif peu commun auquel participent la tenue et l’attitude des chanteurs toujours impeccables sur scène. Quant à l’autre signature d’Orfeón Donostiarra, il s’agit de la tenue traditionnelle toute blanche, chaussures et caches-partitions inclus, des femmes de ce chœur. Pas de doute, Orfeón Donostiarra est unique !

Comment ce miracle artistique et humain fonctionne-t-il ? Tout d’abord, Orfeón Donostiarra est une structure indépendante organisée avec un président (actuellement José María Echarri Campo), un conseil d’administration et des donateurs ce qui est source d’autonomie financière. Le président, le directeur artistique et les membres du conseil de direction, composé pour moitié de chanteurs, sont élus tous les quatre ans et assurent le fonctionnement de la structure en toute indépendance. La meilleure preuve de cette indépendance est l’existence du siège d’Orfeón Donostiarra, plusieurs étages dans un immeuble situé en plein centre historique de San Sebastian et notamment dédié aux répétitions dans une salle ad hoc, à la formation des enfants, aux diverses activités administratives et aux archives. Mais rien de cela ne serait utile, s’il n’y avait pas un grand nombre de chanteurs passionnés et disponibles (environ 180 permettant une souplesse des effectifs et de donner plus de 30 concerts par an), avec un mélange générationnel en permanent renouvellement qui fait se côtoyer des jeunes qui découvrent le répertoire et des anciens capables de chanter les œuvres phares au pied levé. Enfin, vous rajoutez à cela beaucoup de travail (3 répétitions par semaine!), une communication très active (conférence de presse de présentation de saison, lettre et bulletin électroniques réguliers, répétitions ouvertes) et une personnalité rare, Sani, musicien très exigeant et homme fin, drôle et modeste qui sait créer une ambiance à la fois très professionnelle et exigeante mais aussi détendue, chaleureuse et accueillante. Un Sani qui n’hésite pas à prendre lui-même la baguette et à diriger son chœur dans des œuvres telles que «Carmina Burana», la «Neuvième», le «Requiem» de Verdi, le «Stabat Mater» de Rossini ou le «Requiem» de Mozart. Il y a quelques années un journaliste espagnol demandait à Sani «Pourquoi n’y a-t-il pas plus de bons chœurs ?» ce dernier répondait avec malice «Parce qu’il n’y a pas beaucoup de bons chefs de chœur…» ! Bienheureux chanteurs de San Sebastian, vous avez trouvé un homme rare, un magicien comme dit avec affection, sa dévouée et sympathique collaboratrice, Sonia Esturo Elejalde.

Pour terminer, laissons la parole à deux chefs d’orchestre. Le premier, Marek Janowski, dont on connait l’allergie chronique aux chœurs amateurs déclarait après avoir dirigé Orfeón Donostiarra en 2002 à San Sebastian «Durant toute ma vie professionnelle, j’ai préféré travailler avec des chœurs professionnels après trop de déceptions avec des ensembles amateurs. Ma première expérience avec Orfeón Donostiarra fut stupéfiante et m’a fait changer mes préjugés. Ce chœur fonctionne à l’égal d’un chœur professionnel». Quant à Tugan Sokhiev, il disait en interview en 2009 «Pour Alexandre Newski, j’aurai la joie de retrouver Orfeón Donostiarra, un ensemble de toute première qualité, composé de chanteurs amateurs mais supérieur de mon point de vue à bien des chœurs professionnels… je suis heureux de me produire à Paris en compagnie de ces chanteurs». Il disait aussi récemment sur Radio Classique au micro d’Olivier Bellamy “tous les chefs d’orchestre rêvent de diriger Orfeón Donostiarra”. Des mots tellement vrais et qui ne trompent pas. Orfeón Donostiarra, vous êtes bien l’un des meilleurs chœurs du monde, bravo et gratias por todos !

En 2017, Orfeón Donostiarra fêtera ses 120 ans et les 30 ans de la direction du magicien Sani ! Et pour l’occasion l’ensemble a chanté le 7 juillet à Santiago de Compostela la Neuvième de Beethoven avec rien moins que Gustavo Dudamel et chantera le 21 juillet aux Proms de Londres un Fidelio, qui sera à nouveau donnée le 4 août à San Sebastian, sous la direction du chef basque Juanjo Mena. Un autre jeune chef espagnol Gustavo Gimeno, actuel directeur de l’Orchestre Philharmonique de Luxembourg, les dirigera également dans 2 Requiem de Verdi les 26 et 27 août prochain à San Sebastian et à Santander.

Les deux enregistrements de l’ile déserte sont sans doute «Carmina Burana», une exceptionnelle démonstration de l’incroyable niveau de ce chœur et le disque Duruflé comprenant le «Requiem» et la «Missa cum Jubilo», tous deux réalisés avec l’Orchestre National du Capitole de Toulouse et Michel Plasson chez EMI. En DVD, le «Requiem» de Verdi du centenaire à Berlin en 2001 et la «Résurrection» de Lucerne en 2003 sont sans conteste les témoignages visuels et sonores les plus parlants sur le niveau exceptionnel d’Orfeón Donostiarra, qui plus est dirigé par l’immense Claudio Abbado. Ceux qui s’intéressent à l’opéra français pourront aussi découvrir des intégrales de raretés passionnantes, tels le «Guerrecoeur» de Magnard, «Oedipe» d’Enesco (avec un José van Dam exceptionnel) ou «Padmavâti» de Roussel où Orfeón Donostiarra brille également de mille feux.

Vous voulez en savoir encore plus sur Orfeón Donostiarra, cliquez ici www.orfeondonostiarra.org

La photo qui illustre cet article est celle d’Orfeón Donostiarra au cours de la Neuvième Symphonie donnée avec Tugan Sokhiev en juillet 2011 au Théâtre Antique d’Orange.

Gilles Lesur, actualisé les 22 août, 31 décembre 2015, 30 oct 2016, 1 mai 2016 et 24 juillet 2017