MTT dans un Mahler raffiné

La venue de l’Orchestre Symphonique de San Francisco à Paris est un événement assez rare. Ce prestigieux orchestre en tournée européenne a donné hier soir à Pleyel une extraordinaire troisième symphonie de Mahler après Londres et avant Luxembourg et Genève. Les voix de femmes du chœur de l’Orchestre de Paris avaient la chance de participer au concert parisien et seront également du voyage à Genève. Une collaboration qui augure bien de l’arrivée très prochaine du Chœur de l’Orchestre de Paris à la Philharmonie de Paris et qui, on l’espère, sera suivie d’autres rencontres avec les prestigieux orchestres que Laurent Bayle prévoit d’y inviter. Rappelons enfin que Michael Tilson Thomas est le cinquième chef qui dirige le chœur de l’Orchestre de Paris dans cette œuvre, après Zubin Mehta, Rafael Kubelik, Semyon Bychkov et plus récemment Christoph Eschenbach.

L’Orchestre Symphonique de San Francisco est un orchestre somptueux, sans aucun point faible, avec des cuivres typiquement américains à la fois brillants et légers. Durant toute la symphonie, Michael Tilson Thomas opte pour des tempi retenus ce qui lui donne une noblesse bien en accord avec ces thèmes larges qui occupent ce chef d’œuvre de bout en bout. Tout est magnifique dans cet orchestre, véritable diamant d’élégance et de finesse, les cordes notamment graves aux pizzicati de rêve, les violoncelles à l’irrésistible légato, les bois voluptueux et surtout ces cuivres élégants et précis. Le meilleur exemple en est cet extraordinaire solo de trompette du troisième mouvement joué dans la coulisse avec d’incroyables nuances. A tel point qu’on en oublierait presque l’immense difficulté de ce passage qui, sous d’autres lèvres moins douées, peut tourner au cauchemar pour l’interprète …comme pour l’auditeur. Une broutille (un accord de vent un peu à coté) et quelques rares imprécisions, confirmant qu’il s’agit tout de même bien d’humains ( !), n’enlèvent rien à cette magnifique interprétation. Dans le quatrième mouvement, la mezzo Sasha Cooke, au somptueux timbre, livre un magnifique lied qu’elle habite pleinement dans un bel allemand. Puis interviennent un chœur de l’Orchestre de Paris et une Maîtrise de Paris manifestement à l’aise avec la direction très claire de Michael Tilson Thomas et qui délivrent un moment joyeux plein d’élégance et de subtilité. Et dès le début du dernier mouvement, on sent que l’on va vivre une ascension finale de haute tenue. Ce mouvement est mené progressivement sans aucun débordement inutile ni racolage et les coups de timbale parfaitement coordonnés des 2 timbaliers qui n’ont même pas besoin de se regarder sont d’une belle présence. Vous l’aurez compris, tout ce soir là à Pleyel a concouru à un grand moment de musique dans le raffinement et l’élégance pour une œuvre décidément extraordinaire. On espère bientôt d’autres collaborations entre le chœur de l’Orchestre de Paris et ce fabuleux orchestre.

On s’étonne juste que l’Orchestre Symphonique de San Francisco ne soit pas officiellement dans les « Big Five » (les cinq meilleurs orchestres américains : Philadelphie, Cleveland, New York, Los Angeles, Boston), surtout à un moment où le New York Philharmonic est en perte de vitesse. On a aussi appris que Michael Tilson Thomas a visité le chantier de la Philharmonie quelques heures avant ce concert. Selon toute vraisemblance, nous reverrons donc bientôt à Paris ces extraordinaires musiciens et leur sympathique chef, qui -qualité supplémentaire-parle un français parfait… Qu’on se le dise !

Gilles Lesur

Mardi 18 mars 2014, Salle Pleyel, Troisième symphonie de Gustav Mahler, Orchestre Symphonique de San Francisco, Sasha Cooke, Chœur de l’orchestre de Paris (direction : Lionel Sow), Maitrise de Paris (direction : Patrick Marco), direction : Michael Tilson Thomas.

Ce concert sera diffusé sur France Musique le mercredi 2 avril 2014 à 14 heures.