Le site britannique « Bachtrack » a publié à la rentrée, sous la plume de Mark Pullinger, une analyse des résultats du classement 2015 des meilleurs chefs d’orchestre et orchestres symphoniques (https://bachtrack.com/fr_FR/worlds-best-orchestra-best-conductor-critics-choice-september-2015). Un jury international de 16 critiques professionnels, dont les français Clément Rochefort de France Musique et Christian Merlin du Figaro, ont été invités à lister de manière indépendante leurs préférences. Les résultats sont les suivants :
Les chefs préférés par ordre décroissant (nombre de points obtenus)
Riccardo Chailly : 80
Simon Rattle : 78
Mariss Jansons : 70
Andris Nelsons : 59
Riccardo Muti, Daniel Barenboim : 53
Kirill Petrenko : 49
Esa Pekka Salonen : 35
Yannick Nézet-Séguin : 31
Christian Thielemann : 29
Les orchestres préférés par ordre décroissant (nombre de points obtenus)
Berliner Philharmoniker : 136
Concertgebouw d’Amsterdam : 113
Philharmonie de Vienne : 76
Gewandhaus Leipzig : 60
Chicago Symphony Orchestra : 49
London Symphony Orchestra : 42
Berlin Staatskapelle : 42
Dresden Staatskapelle : 39
Boston Symphony Orchestra : 38
Orchestre de la Radio Bavaroise : 36
Voici les quelques remarques qu’inspire cette intéressante enquête. Tout d’abord, il y a 5 orchestres allemands et un orchestre autrichien, ce qui n’étonne pas et confirme l’excellente forme des orchestres symphoniques dans ces pays. Remarquons aussi que dans le précédent classement réalisé il y a 7 ans, le Gewandhaus de Leipzig et la Staatskapelle de Berlin n’apparaissaient pas dans le peloton de tête. Il est donc une nouvelle fois confirmé qu’un travail de fond avec un chef d’orchestre bâtisseur est susceptible de faire beaucoup progresser un orchestre. Les responsables de certains orchestres parisiens (seul figure dans ce classement, à la 28° place sur 30, l’Orchestre de Paris) feraient bien d’y réfléchir plutôt que de nommer des chefs de passage qui construisent plus leur carrière que les orchestres dont ils ont la charge. De même, on remarquera la nette supériorité une nouvelle fois confirmée du duo en tête (Berlin, Amsterdam), certainement au grand dam des musiciens viennois placés troisième. Ces derniers souffrent à l’évidence de ne pas avoir de directeur musical et ils sont d’ailleurs suivis de près par le Gewandhaus de Leipzig. Dernière remarque concernant les orchestres mais aussi les chefs : les bons orchestres attirent les bons chefs, à moins que ce ne soit les bons chefs qui obtiennent les bons orchestres…Ainsi, figurent dans ces listes des «couples» dans la vie artistique : Chailly /Gewandhaus, Rattle/Berliner, Jansons/Radio Bavaroise, Nelsons/ Boston Symphony, Muti/Chicago Symphony, Barenboïm/Staatskapelle de Berlin…
Concernant les chefs, quelques remarques s’imposent. Le classement en tête est très serré, Chailly obtenant 80 pts, Rattle 78 et Jansons 70. Ce sont incontestablement d’immenses chefs, en pleine maturité (respectivement 62, 60 et 72 ans), au large répertoire et des hommes charismatiques. Un seul chef a moins de 40 ans : il s’agit du letton Andris Nelsons, 36 ans, un immense musicien qui n’a pas fini de faire parler de lui et déjà classé ici à la quatrième place. C’est d’ailleurs lui qui remplacera Riccardo Chailly, nommé à Lucerne, à la tête du Gewandhaus de Leipzig dès septembre 2017. On rappellera qu’il est un compatriote et un élève de Mariss Jansons, classé numéro 3 ce qui n’est certainement pas une coïncidence. Viennent ensuite cinquième ex-æquo, Daniel Barenboïm (73 ans) et Riccardo Muti (74 ans), deux bâtisseurs d’orchestre, Muti successeur lointain de Barenboïm à Chicago et Barenboïm successeur lointain de Muti à la Scala après avoir offert à l’Orchestre de Paris ses heures de gloire.
Il n’est pas étonnant de voir figurer à la septième place l’outsider de Berlin Kirill Petrenko, 43 ans, récemment choisi pour succéder à Simon Rattle. Plus étonnante, étant donné la discrétion de l’homme, mais tellement judicieuse est la présence à la huitième place d’Esa Pekka Salonen (57 ans), un chef finlandais qui transforme tout ce qu’il touche en or, y compris l’Orchestre de Paris avec qui il entretient d’excellentes relations depuis plusieurs décennies. Pur produit, comme Jansons et Nelsons, de l’école de direction d’orchestre nordique, il a fait de l’Orchestre de Los Angeles, même s’il ne figure pas dans ce classement, un orchestre de tout premier ordre et il est en train de faire de même à Londres avec le Philharmonia. Un moment pressenti à la direction de l’Orchestre de Paris il n’y est malheureusement qu’un chef invité régulier. La présence du québécois Yannick Nézet-Séguin est elle aussi complètement justifiée. Le talent, la générosité et la passion de cet homme de 40 ans semblent sans limites, et son parcours sans faute à Montréal, Rotterdam et Philadelphie, comme son talent de chef d’opéra, en font déjà un potentiel prochain directeur musical du Metropolitan de New York, voire un successeur plausible de Mariss Jansons à Munich où il est, comme partout, très aimé. Christian Thielemann (56 ans) le grand perdant de Berlin, récemment nommé directeur musical à Bayreuth et directeur semble-t-il heureux de la Staatskapelle de Dresde, classée dixième, se voit tout de même honoré d’une double présence dans ce classement.
Y a-t-il des surprises dans ce classement ? Sans doute l’absence de Valery Gergiev et de Gustavo Dudamel peut-elle étonner. Mais le premier est souvent jugé dispersé et irrégulier et le second est sans doute clivant, déclenchant soit un énorme enthousiasme, soit des doutes. Plus surprenante est l’absence de Bernard Haitink, immense chef s’il en fut, mais qui souffre probablement d’un manque de visibilité dans un monde centré sur les moyens modernes de communication. Les autres absences, par exemple celle de Zubin Mehta, tombé depuis trop longtemps dans la routine, d’Herbert Blomstedt, sans doute trop classique dans ses interprétations, ou de Daniele Gatti, au talent qui ne fait pas l’unanimité, étonnent moins tant ils apparaissent comme des chefs d’une moindre envergure. Reste le cas James Levine que beaucoup considèrent comme un immense chef mais qui, du fait de problèmes récurrents de santé, a du longtemps stopper ses activités qu’il vient à peine de reprendre. Certains se réjouiront de l’absence de chef provenant du monde baroque….
Toute passionnante qu’est cette étude, sa principale limite est la méthodologie qui n’est expliquée que succinctement. Et on aimerait bien connaître les 20 suivants dans chaque liste ! Il devrait bien y figurer des chefs français et qui sait peut-être des orchestres français ! Et sans doute aussi Haitink, Levine, Gergiev, Dudamel et d’autres…
Gilles Lesur