Parmi les Faust « opératiques », ceux de Berlioz et de Gounod sont les plus souvent représentés. Le « Mefistofele » de Arrigo Boito, lui aussi adapté du Faust de Goethe, est beaucoup moins connu. Il est actuellement programmé à l’opéra de Rome sous la baguette de Renato Palumbo, un expert de l’opéra italien.
Construit en 1880 l’opéra de Rome fût le lieu de créations importantes, notamment Cavallierra Rusticana et Tosca. La salle typiquement italienne est une grande et belle salle aux magnifiques proportions. La période faste de l’opéra de Rome remonte aux années 1930-40 lorsqu’il était dirigé par Tulio Serafin. De nombreux et célèbres enregistrements de cette époque en témoignent.
Arrigo Boito, plus connu comme librettiste (Simon Boccanegra, Otello, Falstaff, La Gioconda) a aussi laissé à la postérité deux opéras, Mefistofele et Nerone. Né en 1842 à Padoue dans une famille passionnée par les arts, il est formé à Milan en violon, piano et composition. En 1860, il s’engage auprès de Garibaldi et compose plusieurs œuvres à tendance patriotique. Son engagement, salué par Victor Emmanuel II, est récompensé par une bourse lui permettant de circuler en Europe. Il séjournera à Berlin, à Varsovie (sa mère était une comtesse polonaise) mais surtout à Paris. Il y rencontre notamment Hugo, Rossini, Wagner et un certain Berlioz. Il est peu probable qu’il y entende la « Damnation de Faust », créée en 1848 mais seulement reconnue en France à la fin du siècle après son succès à l’étranger et grâce à la ténacité d’Edouard Colonne. En revanche, il a sans doute entendu à Paris le Faust de Gounod populaire dès sa création en 1859. A son retour à Milan il s’attelle à Mefistofele qu’il souhaite très littéraire et fidèle au Faust de Goethe, imaginant d’emblée une sorte de théâtre musical bien avant l’heure. Initialement prévu pour être donné en deux soirées, il révise finalement ses ambitions réduisant l’œuvre à 5 heures… Mais la première, sous la direction du compositeur à la Scala de Milan en mars 1868, désarçonne le public. C’est un véritable échec et l’opéra est retiré de l’affiche après deux représentations. Cette première version en cinq actes était trop longue et mettait au premier plan, non les chanteurs, mais le texte, une vraie révolution dans l’Italie naissante encore baignée dans la forme traditionnelle de l’opéra. Cet échec amène Boito à raccourcir son œuvre et à transformer Faust en baryton mais sans renier son amour du texte. La création de la seconde version à Bologne en 1875 est un vrai succès. Il est vrai que depuis la première version un certain Wagner est en train de transformer l’opéra en drame. Boito en perfectionniste continue d’améliorer sa partition et la version réellement définitive sera créée à la Scala de Milan le 25 mai 1881. La première parisienne aura lieu en 1919, soit un an après la mort de Boito. Auparavant Boito aura initié son second opéra, « Nerone » qui restera inachevé. Toutes les grandes basses ont chanté le rôle-titre, Chialapine d’abord, puis notamment Pinza, Siepi, Ghiaurov, Ghiuselev, Ramey et Burchuladze.
La production de l’opéra de Rome est assez classique dans sa forme, avec des costumes traditionnels (Mefistofele, tout de rouge vêtu) et des décors sans extravagance. Seule concession à l’air du temps, un fin rideau, en avant scène, utilisé pour la projection de vidéos illustrant l’histoire. La mise en scène étant inexistante, les chanteurs sont contraints à des gestes caricaturaux que l’on croyait révolus. Les chœurs largement sollicités dans cette œuvre, où ils ont presque le rôle principal, chantent avec talent, puissance et engagement. Préparés par Andrea Giorgi, ancien directeur des chœurs de l’Opéra de Paris à la fin des années 90, ils réunissent de belles et puissantes voix d’hommes mais aussi des soprani qui n’hésitent pas à montrer la largeur de leur vibrato… Superbe intervention d’un chœur de jeunes filles lors de l’étonnant et fascinant prologue qui montrent une belle musicalité, une justesse parfaite et une rondeur très italienne. Le Mefistofele de Francesco Palmierik bien qu’un peu serré dans l’aigu ne démérite pas et le Faust de Walter Fraccaro s’engage avec talent dans son combat. La Marguerite de Teresa Romano semble un peu en retrait par rapport à l’Hélène dramatique et puissante d’Anda-Louise Bogza. Cette dernière est au centre de l’épilogue qui se déroule en Grèce antique et qui verra l’âme de Faust sauvée rejoindre le ciel. A la baguette, Palumbo précis et tonique emmène tout son monde de l’enfer au paradis. La musique jamais facile ni vulgaire possède un vrai caractère et ne ressemble à rien de son époque. En somme, une soirée romaine très agréable permettant une passionnante découverte.
Gilles Lesur
Pour tous, mais en particulier pour ceux que je sais nombreux parmi les « Amis d’Arthur Oldham » qui s’intéressent à Faust, je recommande l’ouvrage d’Emmanuel Reibel « Faust, la musique au défi du mythe » publié en 2008 chez Fayard, passionnant et richement documenté.
Gilles Lesur
Opéra de Rome, 19 mars 2010, Mefistofele, opéra en un prologue, quatre actes et un épilogue, paroles et musique d’Arrigo Boito, Chœur et Orchestre de l’Opéra de Rome (Andrea Giorgi, chef de chœur), Chœur des voix blanches de l’Opéra de Rome et de l’Académie Sainte-Cécile de Rome (José Maria Sciutto, chef de chœur), Renato Palumbo, direction, Fillipo Crivelli, mise en scène et Michele Dell Cioppa, vidéaste. Avec Francesco Palmieri, Walter Fraccaro, Teresa Romano, Letizia Del Magro, Amedeo Moretti, Anda-Louise Bogza et Luca Battagello.