Les béatitudes de Franck

L’année 2012 a été celle de plusieurs anniversaires de musiciens, Debussy, Massenet, Honegger, Daniel-Lesur et Jean Françaix. Mais de César Franck il n’est malheureusement que très peu question. Or César Franck, né à Liège en 1822 et naturalisé français à sa demande en 1873, n’est pas seulement l’auteur de la célèbre et très jouée «Symphonie en ré mineur», du puissant «Quintette avec piano» ou de l’épique «Sonate pour violon et piano».

En effet, César Franck a également composé beaucoup de musique chorale, mais les occasions d’entendre ces magnifiques œuvres sont trop rares. Il en est ainsi des «Béatitudes», un des monuments de la musique religieuse au même titre que des pièces chorales du XIX° siècle souvent entendues comme le «Requiem Allemand» de Brahms (1886), sans parler du tube des tubes le «Requiem» de Fauré (1888-1892). A l’époque de la création des «Béatitudes», Adolphe Jullien, journaliste du Journal des Débats, parlait tout de même de «l’une des trois créations capitales de l’art musical avec la Messe en si de Bach et le Parsifal de Wagner»…

César Franck travaillera sur les «Béatitudes» de 1870 à 1880, mais sans jamais pouvoir entendre l’œuvre en intégralité dans sa version orchestrée. En effet, cette version définitive ne fut créée que le 19 mars 1893 aux Concerts Colonne à Paris (César Franck était mort depuis 3 ans). Basée sur des paroles en vers de Joséphine Colomb à partir du texte de l’Evangile selon Saint Luc, les «Béatitudes» se composent d’un prologue et de huit béatitudes. Les rôles principaux sont dévolus à un chœur dit terrestre, à un chœur céleste et au Christ. Le prologue expose un thème apaisé que l’on retrouvera dans toute l’œuvre à la façon d’un leitmotiv (on sait que Franck vénérait Wagner) avant que les différentes béatitudes ne se succèdent. Les chœurs interviennent dans toutes les béatitudes sauf la quatrième. La première béatitude illustre les hommes à la poursuite des biens matériels, la seconde un chant tragique de désespérance, la troisième a une allure plus dramatique et voit intervenir la mère, la quatrième évoque le repos, la cinquième l’humanité déchirée, la sixième est d’une belle pureté tandis que la septième oppose le bien et mal et que la huitième, probable sommet de l’œuvre, termine les “Béatitudes”en une belle et touchante apothéose.

On s’étonne vraiment qu’une œuvre aussi poignante et qui baigne dans une belle lumière apaisée et recueillie, qui plus est si subtilement orchestrée, n’ait pas encore trouvé sa place dans le répertoire français. En cette année anniversaire, il nous reste quelques mois pour espérer, avant de se résoudre à attendre le bicentenaire à venir en 2022 ! Plusieurs enregistrements des «Béatitudes» sont disponibles. Celui dirigé par Armin Jordan réunit le Chœur de Radio-France, l’Orchestre Philharmonique de Radio-France, David Rendall, Nathalie Stutzmann et Jane Berbié. Il existe également un enregistrement pris sur le vif à Munich en 1974, dirigé par Rafaël Kubelik avec rien moins que Jessye Norman, Dietrich Fischer-Dieskau, René Kollo, Brigitt Fassbaender. Dans cette version, l’Orchestre de la Radio bavaroise est associé au Chœur de Radio-France, décidément spécialiste reconnu de cette œuvre. Un troisième enregistrement a été réalisé sous la direction de Jean Allain avec la chorale Elizabeth Brasseur et les Petits Chanteurs de Chaillot.

Les autres œuvres avec chœur de César Franck sont elles aussi à découvrir que ce soit «Rédemption», créée sans succès en 1873 et enregistrée en 2000 à Toulouse par Michel Plasson avec Lambert Wilson en récitant et le chœur basque «Orfeón Donostiarra» et «Rébecca», scène biblique en six parties, encore plus rare mais enregistrée en public par Jean Pierre Lo Ré en 2006.

Fernand Naudin, oct 2012

L’iconographie utilisée ici est une peinture murale d’Edgar Scauflaire intitulée «Allégorie de César Franck» qui se trouve dans «La Salle Philharmonique de Liège».