War Requiem : 50 ans

Il y a tout juste 50 ans, le 30 mai 1962, le «War Requiem» de Britten, un des chefs d’œuvre de la musique du XX°siècle, était créé à Coventry. La ville de Coventry avait été bombardée par l’aviation allemande dans la nuit du 14 au 15 novembre 1940. A l’issue de la guerre, la cathédrale Saint Michael de Coventry très endommagée est volontairement laissée en ruines. L’architecte écossais Sir Basil Spence imagine alors un projet de reconstruction intégrant les ruines de l’édifice, à la façon de ce qui est fait à la même époque pour l’église dite du souvenir de Berlin. Le bâtiment moderne qui utilise la même pierre rose que l’édifice originel est situé perpendiculairement à celui-ci et y est relié par des escaliers. Il y fera également ajouter de magnifiques vitraux d’un maître verrier alsacien, Tristan Ruhlmann.

Lors de la première du “War Requiem” dans la nouvelle cathédrale le 30 mai 1962, à l’occasion de la reconsécration de l’église, Meredith Davies dirigeait l’orchestre de la toute proche Birmingham, le choeur du Festival de Coventry et une distribution prestigieuse réunissant Peter Pears et Dietrich Fischer-Dieskau. Benjamin Britten dirigeait l’orchestre de chambre. Seule manquait à l’appel Galina Vichnevskaïa, retenue de l’autre coté du rideau de fer par les autorités soviétiques et remplacée in extremis par l’anglaise Heather Harper. En effet, à l’époque la guerre froide vient de vivre un de ses paroxysmes avec l’édification durant l’été 1961 du mur de Berlin. On raconte qu’un long silence suivît une exécution de très haut niveau et que l’œuvre fut accueillie par un triomphe. En ce même jour de mai 1962, l’Eglise du Souvenir à Berlin, détruite en 1943 par les bombardements alliés, était à nouveau consacrée en même temps qu’y était installée, en un beau geste symbolique, une croix provenant de la cathédrale de Coventry. L’histoire pouvait reprendre dans une paix qu’on espérait éternelle. On se souvient également que Simon Halsey a réuni le 8 mai 2011 à la Philharmonie de Berlin plus de 300 chanteurs venant de l’Europe entière pour y donner, dans le cadre des Mitsingonzerte, un “War Requiem” particulièrement émouvant.

Tout a été écrit sur cette œuvre unique et géniale. Elle utilise un grand orchestre, un orchestre de chambre, un chœur d’adultes et un chœur d’enfants. On connait la dédicace de Britten «My subject is War, and the pity of War, the poetry is the pity… all a poet can do today is warn» (Mon sujet est la guerre, la douleur de la guerre. La poésie est dans la douleur.. Aujourd’hui tout ce que peut faire le poète, c’est mettre en garde). La soprano chante le texte latin alors que le baryton et le ténor chantent des vers en anglais. En effet, Britten a adjoint au requiem liturgique traditionnel des poèmes de Wilfred Owen, poète anglais mort dans les tranchées boueuses de Flandre, quelques jours avant l’armistice de 1918.

Il existe de très nombreux et magnifiques enregistrements du «War Requiem ». D’abord celui dirigé par Benjamin Britten réalisé en 1963 avec le London Symphony Orchestra et comme solistes Vichnevskaïa, Fischer-Dieskau et Pears. Celui de Simon Rattle avec Elisabeth Söderström, Robert Tear, Thomas Allen et les forces de Birmingham, réalisé au début des années 1980, bénéficie d’un chœur exceptionnel, le City of Birmingham Symphony Chorus préparé par le tout jeune, mais déjà très doué, Simon Halsey. Carlo-Maria Giulini qui aimait cette œuvre a également laissé plusieurs enregistrements réalisés en public dont un publié en 2009 dans la série BBC Legends. Récemment l’enregistrement dirigé par Gianandrea Noseda à la tête du London Symphony Orchestra et de son choeur a été salué comme une vraie réussite. Deux des solistes choisis ici, Simon Keenlyside et Ian Bostridge, sont d’extraordinaires chanteurs, qui plus est familiers de l’oeuvre.

Benjamin Britten est né le 22 novembre 1913 ce qui donnera prétexte en 2013 à quelques exécutions du “War Requiem”. Parmi les plus attendues figurent celles de Mariss Jansons à Munich et Lucerne en mars 2013 (avec l’excellent chœur de la Radio Bavaroise), de Simon Rattle à Berlin en juin et d’Andris Nelsons avec le chœur et l’orchestre symphonique de Birmingham ainsi que la Maîtrise de Radio-France à Paris le 8 juin. Le chœur de l’Orchestre de Paris, qui a cette œuvre à son répertoire depuis 1982 et qui a la chance de l’avoir travaillée avec Arthur Oldham, seul élève de Britten, l’a déjà donnée sous les directions de Rostropovitch, Bychkov et Metzmacher. Il ajouterait bien volontiers d’autres noms, de préférence prestigieux, à cette liste…

Gilles Lesur, le 27-6- 2012

Le concert anniversaire du 30 mai 2012 donné à la cathédrale de Coventry sous la direction d’Andris Nelsons par le chœur (direction Simon Halsey) et l’orchestre symphonique de Birmingham et qui a été dédié à la mémoire de Dietrich Fischer-Dieskau est diffusé en DVD par Unitel Classica.

A noter qu’il existe une adaptation cinématographique du «War Requiem» réalisée par Derek Jarman en 1989 avec dans le rôle du soldat britannique, rien moins que Laurence Olivier. La bande son de ce film est constituée par l’enregistrement de l’œuvre sous la direction du compositeur.