Son simple nom, Leonardo García Alarcón, fait déjà rêver. Né à La Plata en Argentine en 1976, ce musicien aux multiples facettes voit depuis quelques années sa carrière exploser. D’abord formé en orgue et clavecin dans son pays natal, il vient ensuite étudier à Genève à partir de 1997 et y devient l’assistant de Gabriel Garrido. En 2004, il est nommé professeur de basse continue et chef de chant baroque au Conservatoire de Genève. Passionné par la voix et féru de recherches musicologiques, il contribue aussi à la recherche de manuscrits oubliés.
En 2005, il fonde l’ensemble instrumental et vocal « Cappella Mediterranea » avec l’objectif de revenir aux sources des idéaux esthétiques des grands musiciens du sud de l’Europe. En 2011, cet ensemble accompagne la mezzo-soprano Anne Sofie von Otter à l’Abbatiale d’Ambronay et au Théâtre des Champs Elysées. Développant son travail de redécouverte d’œuvres rares, Leonardo García Alarcón crée et enregistre en 2012 le Nabucco de Michelangelo Falvetti, une pièce retrouvée en 2011 et jamais rejouée depuis sa création à Messine en 1683. Depuis 2010, Leonardo García Alarcón est en résidence au Centre culturel des rencontres d’Ambronay et directeur artistique et chef principal du Chœur de chambre de Namur. En 2013, Cappella Mediterranea et Leonardo García Alarcón sont invités à l’Académie d’Aix en Provence pour créer une autre rareté, l’opéra Elena de Cavalli composé à Venise en 1659 et jamais joué depuis. L’ensemble qu’il dirige s’ouvre également, depuis quelques années, à de nouveaux répertoires lyriques allant de Haendel à Monteverdi et Mozart. Ils se produisent ensemble à l’Opéra de Lyon, au Concertgebouw d’Amsterdam et au Teatro Colón de Buenos Aires. L’enregistrement récent des «Vêpres de la Vierge» de Claudio Monteverdi réalisé par ces deux ensembles sous la direction de Leonardo García Alarcón vient d’être considéré comme le meilleur parmi plusieurs lors d’une récente tribune des critiques sur France Musique. Leonardo García Alarcón vient également de triompher au Festival de Saint Denis dans «Il Diluvio Universale» de Falvetti donné avec ces mêmes interprètes, représentation que vous pouvez actuellement voir sur Arte Concert.
Certains membres du chœur de l’Orchestre de Paris ont eu la grande chance de rencontrer ce chef durant quelques jours à Mulhouse et de travailler avec lui rien moins que le Requiem de Mozart. Trois représentations (deux à Mulhouse, une à Bâle) avaient été organisées à l’initiative de Selvam Thorez, ancien membre du chœur de l’Orchestre de Paris devenu administrateur de l’Orchestre de Mulhouse. Ces représentations et le travail préparatoire resteront dans mon expérience (pourtant déjà fort longue !) de chanteur un moment unique et particulièrement fort. Pour l’occasion le chœur de chambre de l’Orchestre de Paris était rejoint par le Chœur d’Alsace, un ensemble amateur de bon niveau d’environ 30 chanteurs et préparé par leur chef, Bernard Beck.
Comme vous tous, je connais bien (ou croyais bien connaître…) le Requiem de Mozart. Mais c’est peu de dire qu’avec Leonardo García Alarcón vous avez en permanence l’impression de le redécouvrir. Il fait incontestablement partie des chefs bavards mais passionnants (il y a aussi des chefs bavards et barbants…) et il s’exprime avec précision et enthousiasme dans un français parfait avec ce si charmant accent lié à ses origines. Il insiste à plusieurs reprises et toujours avec précision sur les fondamentaux (justesse, ligne, texte, articulation, phrasé) et n’hésite pas à utiliser des formules qui éclairent ses propos : « la quarte est aussi une dissonance », pour aider à la faire mieux sonner, « votre corps doit triompher sur votre esprit », plaçant délibérément la musique au niveau du cœur plutôt que de l’intellect, « il vous faut chanter comme un écho de l’univers », lors du « Rex Tremendae » trop souvent asséné et qui devient alors enfin une musique réellement céleste. En d’autres moments, il demande d’anticiper l’interprétation pour mieux la construire, il évoque les mots chantés « qui sont vos archets », il demande un « crescendo spirituel » et non seulement en décibels, il réclame « plus d’activité » redoutant des notes mortes. Dans l’Hostias, son interprétation par six mesures donne enfin toute son émotion à cette page si souvent ratée. Les tempi sont rapides mais jamais précipités et les timbales sonores mais sans être cognées comme elles le sont trop souvent avec beaucoup de chefs issus du monde baroque… Leonardo García Alarcón opte également pour la suppression des Sanctus, Benedictus et Agnus Dei dont l’écriture déjà presque romantique lui semble trop contraster avec le début de l’œuvre. En revanche, il choisit d’insérer après le Lacrimosa, un Amen fugué dont il est convaincu que Mozart, grand connaisseur de la musique italienne, a probablement confié la réalisation, faute de temps, à l’un de ses élévès. L’Amen retenu a été composé en 1986 par Richard Maunder à partir de deux autographes de la main de Mozart retrouvés à la Bibliothèque d’Etat de Berlin en 1960 par Wolfgang Plath. Il est aisé d’imaginer que cet Amen sonne comme ceux chantés à la Chapelle Sixtine et que Mozart a certainement entendus, lui qui retranscrivait le Miserere d’Allegri de mémoire et après une seule écoute.
De plus, Leonardo García Alarcón connaît très bien la voix et n’hésite pas, par exemple, à conseiller les soprani, toujours avec un grand sourire et d’élégants gestes illustratifs, en leur demandant de chanter plus dans la tête afin de gagner en précision d’intonation. Il n’hésite pas non plus, lorsqu’il est satisfait, à déclarer avec humour sa flamme à un pupitre particulièrement en forme et réactif…les basses naturellement ! Un grand moment fut aussi lorsque Leonardo García Alarcón s’est mis au piano pour jouer l’Introït faisant alors ressortir les incroyables harmonies de ce début que l’on ne remarque plus dans d’autres conditions. Enfin, Leonardo García Alarcón n’a pas hésité à modifier la disposition de l’orchestre mettant les bois, si importants dans cette œuvre, au premier rang de l’orchestre au milieu des cordes. Un orchestre de Mulhouse qui est apparu tout au cours de ces quatre jours impliqué, réactif et enthousiaste.
Et toute cette construction, qui est celle d’un érudit aimant à partager ses connaissances, est menée avec détermination, patience, douceur et bonne humeur. Et avec un véritable amour de Mozart, de la musique et un profond respect des musiciens. Et il n’est pas question de ne pas peaufiner l’interprétation jusqu’au dernier moment lors de chaque raccord d’avant concert tout en nous demandant de ne surtout pas faire trois concerts identiques. En d’autres termes, l’homme n’est pas seulement un exceptionnel musicien mais aussi un travailleur enthousiaste et qui plus est un être chaleureux et accessible. La preuve, à l’issue du dernier concert, il m’accueillit avec grande simplicité quand je le lui demandais de signer le « Livre d’or » du chœur de l’Orchestre de Paris, ce qu’il fit avec gentillesse et sérieux, laissant un témoignage écrit très personnel et pensé de cette collaboration. Un ensemble de qualités donc que l’on ne retrouve que chez les très grands !
Il se murmure que Stéphane Lissner aurait engagé Leonardo García Alarcón, incontestablement le chef baroque qui monte, pour un programme annuel à l’Opéra de Paris pendant au moins les trois premières saisons de son mandat. Et durant ce séjour en Alsace, bien entendu placé sous les auspices de la légendaire hospitalité alsacienne, Leonardo García Alarcón n’a pas caché son amour de Bach, qu’il place au-dessus de tout, et qu’il aimerait diriger bientôt à Mulhouse, Paris ou ailleurs. Si seulement… Hasta luego Leonardo !
Gilles Lesur
PS Leonardo García Alarcón a enregistré en 2013 le Requiem de Mozart pour Ambronay Editions.