Le Stabat Mater de Poulenc

Le «Stabat Mater» de Poulenc a été donné en ouverture de saison 2012 par le Chœur et l’Orchestre de Paris à la Salle Pleyel. L’Orchestre de Paris est en avance sur le calendrier puisque l’année 2013 sera celle des 50 ans de la disparition de cet immense compositeur mort le 30 janvier 1963. Il n’est pas besoin de présenter cette œuvre géniale et à juste titre célèbre. Par contre, il est intéressant de connaître sa genèse et rien de mieux pour cela que les propos de l’auteur même. Et dans cette optique la “Correspondance” de Francis Poulenc est une mine d’or*.

Christian Bérard, peintre, décorateur et créateur de costumes très lié à Poulenc meurt le 13 février 1949 pendant les répétitions du «Partage de Midi» de Claudel au Théâtre Marigny. «Dès la mort de Christian Bérard, je décidai d’écrire à sa mémoire une œuvre religieuse. J’avais d’abord songé à un Requiem, mais je trouvais cela trop pompeux. C’est alors que j’eus l’idée d’une prière intercessionnelle, et que le texte bouleversant du Stabat Mater me parut tout indiqué pour confier à Notre-Dame de Rocamadour l’âme du cher Bérard». A la même époque, Jean Cocteau, lui aussi très lié à Christian Bérard qu’il surnommait “Bébé”, lui dédicace son magnifique film «Orphée».

Contrairement à d’autres œuvres, Poulenc compose le Stabat Mater rapidement puisqu’il est terminé à la fin de l’été 1950, après deux mois de travail. Fin août 1950, il écrit ainsi à Pierre Bernac : «Le Stabat va à telle allure qu’il y a certainement un miracle de Rocamadour. Vous verrez que c’est plein de musique sans formules et redites. Le premier air de la Danco**, que je fais attendre longtemps (N°6), est je crois «very good». Elle en aura un second (N°9), cela corse le tragique de l’aventure». Le lendemain, il dit à Marguerite Long : «J’écris un Stabat pour chœur et orchestre. Je m’y sens chez moi et espère toucher «ceusses» qui aiment la prière». Début septembre dans une lettre à Yvonne de Casa Fuerte (condisciple de Milhaud en classe de violon), il évoque le dernier numéro qu’il juge d’une «sérénité qui fait un peu peur». Plus loin, avec l’humour qu’on lui connaît, il ose «Je ne voudrais tout de même pas que ce soit mon chant du cygne». Dans le courant du mois de septembre, il écrit à Darius Milhaud (qu’il appelait parfois affectueusement Gros Da) «Depuis le 15 août je suis enfermé à Noizay où j’écris mon Stabat…je crois que cela sera bien, à mi-chemin entre la Messe et Figure humaine». Un mois plus tard, il dit à Henri Sauguet «J’ai fini le Stabat avant-hier. Plus qu’à le recopier. Il me reste a l’orchestrer mais c’est déjà inouï d’avoir écrit 35 minutes de musique en 2 mois». A la même époque, il raconte à Pierre Bernac «Un froid coup d’œil m’a prouvé ce matin que c’est bien parce que profondément authentique». Depuis Agadir où il séjourne en mars 1951, il se confie de nouveau à «Darius chéri», «Je cache cette œuvre à tout le monde pour voir leurs trombines quand ils entendront ces 45 minutes de chœur et grand orchestre que Bernac considère comme ma meilleure œuvre. Me méfiant des moutons à 5 pattes (avec le cher Munch à Aix j’ai eu une lecture le matin du concert) j’ai choisi la chorale Saint-Guillaume, l’orchestre de Strasbourg et Fritz Munch».

La création à Strasbourg le 13 juin 1951 est un triomphe. Elle réunit donc sous la direction de Fritz Munch, le frère de Charles, l’orchestre de Strasbourg, les chœurs de St Guillaume, ensemble amateur réputé de Strasbourg, et non Suzanne Danco empêchée, mais Geneviève Moizan. Les amis de Francis Poulenc sont d’emblée très enthousiastes. Ainsi, Henri Hell parle-t-il d’une œuvre profondément émouvante, à l’équilibre souverain et d’une incroyable perfection vocale et orchestrale. Henri Sauguet évoque lui «la soirée Stabat» comme son plus beau souvenir et sa plus forte émotion musicale de l’année.

La création américaine par Robert Shaw et son célèbre chœur le 27 avril 1952 au Carnegie Hall sera également un très grand succès. Doda Conrad, basse très liée à Poulenc et chantre de la mélodie française, qui y assistait (Poulenc étant retenu ailleurs) lui écrit le 2 mai «Cher Maître-du-Stabat, la critique du Hérald était déplaisante, signée Berger, qui doit souffrir du foie et qui remplit son stylo avec de la bile…Comme il est compositeur et que le Stabat a été acclamé sa réaction est plutôt flatteuse. J’ai été profondément ému et je me demande si je n’aime pas plus le Stabat que la Messe…cette justesse merveilleuse et ce fondu viennent peut-être du fait que Robert Shaw ne sépare pas ses chanteurs mais qu’il les mélange ce qui pour ta musique est idéal». En 1953 Poulenc remerciera Vincent Laugier, chef de chœur à Avignon, d’avoir mis son chœur (et son cœur !) au service d’une œuvre qui réclame avant tout de la chaleur et de la confiance. A bon entendeur salut !

Le chœur et l’Orchestre de Paris ont interprété le Stabat Mater de Poulenc pour la première fois au festival de Saint Denis le 6 juillet 1995 sous la direction de James Conlon avec en soliste Dawn Upshaw. Le Choeur de l’Orchestre de Paris a participé à 2 autres représentations  les 12 et 13 septembre 2012 à la Salle Pleyel sous la direction de Paavo Järvi avec Mireille Delunsh en soliste.

Un CD publié par Deutsche Grammophon en mars 2013 réunit le “Gloria” et le “Stabat Mater” de Poulenc. Le choeur (chef de choeur : Lionel Sow)  et l’ Orchestre de Paris sont dirigés par Paavo Järvi. Ils sont accompagnés par la célèbre soprano française  Patricia Petitbon.

Gilles Lesur, septembre 2013

* Francis Poulenc, Correspondance, 1910-1963, réunie, choisie, présentée et annotée par Myriam Chimènes, Fayard, 1998

** Suzanne Danco, cantatrice initialement prévue