Un concert à la «Grande Synagogue de Paris» est nécessairement un moment rare. En ce 10 mai 2012, l’orchestre et le chœur Colonne étaient réunis pour y donner le «Service Sacré» d’Ernest Bloch, qui n’a pas été entendu en France depuis des décennies. Composée à partir de 1933 cette œuvre avait été commandée par la synagogue de San Francisco, où Ernest Bloch résidait depuis 1916, et fut créée à Turin, Ernest Bloch résidait alors à nouveau en Europe, le 12 janvier 1934. Mais il se trouve que la création française eut lieu dans cette Grande Synagogue de la rue des Victoires, le 19 janvier 1937, qui plus est, par l’Orchestre Colonne sous la direction du compositeur. L’idée de donner les œuvres dans les lieux où elles ont été créées, si chère à Francis Bardot, chef du chœur Colonne, trouvait donc ici une nouvelle et magnifique illustration.
Il y avait donc ce soir-là la foule des grands jours en cet endroit magnifique et trop peu connu de Paris. Ce concert devait être dirigé par Frédéric Chaslin, mais celui-ci empêché a finalement laissé la baguette à Laurent Petitgirard, directeur de l’orchestre Colonne. En première partie Michel Bernier, clarinette solo de l’orchestre, le chœur et l’orchestre Colonne interprètent avec talent et délicatesse le «Kol Nidrei» de Serge Kaufmann, une courte pièce pleine d’humilité et de pardon. Le «Kol Nidrei» est l’une des pièces les plus populaires de la liturgie juive, symbole même de Kippour.
Puis vient le moment tant attendu du «Service Sacré», en fait culte sacré du samedi matin dans la religion juive. Laurent Petitgirard dirige magnifiquement cette œuvre qui fait la part belle au baryton et au chœur. Laurent Naouri maîtrise sa voix comme peu de chanteurs et offre son beau et riche timbre sombre qui convient si bien au caractère souvent mystique de cette musique. Laurent Petitgirard comme les musiciens de Colonne sont investis et donnent de très belles teintes et, si nécessaire, de la puissance à cette musique contrastée et subtile. Le dernier mouvement fait immanquablement penser à l’orientalisme en musique tel qu’on le retrouve par exemple dans «Samson et Dalila» ou plus près de nous dans le magnifique «Roi David» d’Arthur Honegger. Quant aux nombreux passages confiés au chœur ils évoquent par moment le souffle des oratorios d’Elgar. Le chœur Colonne, très bien préparé par Francis Bardot qui en a la charge depuis 3 ans, est en très grande forme et de toute évidence motivé par cette expérience rare. Les voix d’hommes sont particulièrement belles, sonnantes et homogènes. Le chœur d’enfants apporte dans sa brève intervention la lumière et l’émotion nécessaires. A la presque fin de l’oeuvre, Francis Bardot est parfait en récitant clair et compréhensible. De plus l’acoustique de cette synagogue à la haute voûte est une merveille.
C’est donc un vrai et rare plaisir que d’entendre une musique si rare et magnifiquement interprétée dans un tel endroit et d’ailleurs le public n’hésita pas à applaudir après chaque pièce. On espère que d’autres concerts seront à nouveau organisés dans ce lieu, par exemple le «Kaddish» de Bernstein ou le «Service Sacré» de Milhaud, autre rareté qui vient d’être édité, couplé avec celui de Bloch, dans un des coffrets que le journal «Le Monde» a consacré à la musique sacrée. Ces œuvres, comme bien d’autres, trouveraient tout naturellement leur place et leur public dans un tel endroit. En attendant, que les organisateurs de ce concert rare, vraiment très réussi, et tous ceux qui y ont participé soient sincèrement remerciés. Ils ont fait revivre, avec talent et générosité, une œuvre chorale majeure du XX° siècle injustement méconnue.
Gilles Lesur
Grande synagogue de Paris, 10 mai 2012, «Kol Nidrei» de Serge Kaufmann, «Service Sacré» d’Ernest Bloch, Michel Bernier, clarinette, Laurent Naouri, baryton, Chœur de l’orchestre Colonne, Chœurs d’enfants d’Ile-de-France, Ensemble vocal d’Ile-de-France (direction Francis Bardot), Orchestre Colonne, direction : Laurent Petitgirard.
Si vous souhaitez acquérir un enregistrement, la version dirigée par Leonard Bernstein est considérée par beaucoup comme la plus émouvante mais celle de Zubin Mehta, réalisée en public en Israël, est sans doute la plus aboutie d’un point de vue formel…