Le Requiem unique de Frank Martin (1890-1974)
Parmi les requiem composés au XXe siècle, on entend surtout ceux de Britten et de Duruflé. On en oublierait presque Hindemith, Ligeti, Kabelevski, Penderecki, Reger, Zeisl, Zimmerman mais, aussi, Frank Martin, compositeur suisse né à Genève en 1890, qui en a pourtant composé un magnifique. Les seules œuvres de Frank Martin ayant atteint une certaine notoriété sont la messe pour double chœur a cappella, le « Vin Herbé », le concerto pour sept instruments à vent, timbales, percussion et cordes et les « Six Monologues de Jedermann », jadis enregistré par Fischer-Dieskau et que Thomas Quasthoff programme régulièrement. A cela, il convient d’ajouter deux oratorios, « Et in terra pax », commandé en 1944 pour fêter la paix bientôt retrouvée – donné en début de saison par l’Ensemble Orchestral de Paris au Théâtre des Champs-Elysées, et « Golgotha », écrit quelques années plus tard, souvent donné à Pâques, en Suisse, mais exceptionnellement entendu en France.
Le Requiem est une œuvre plus tardive composée entre 1971 et 1972 et créée en 1973 à Lausanne sous la direction du compositeur. Seule la cantate inachevée « Et la vie l’emportera » occupera Frank Martin ultérieurement et ce jusqu’à quelques jours avant sa mort. Dixième fils d’un pasteur genevois, Frank Martin composait à 9 ans sans avoir reçu de formation. A l’âge de 12 ans, il entend la Passion selon Saint-Matthieu qui lui laisse une impression durable et Bach sera, jusqu’à la fin de sa vie, sa référence absolue. Tout en débutant une formation en sciences, il étudie le piano, le clavecin et la composition, d’abord à Genève et Zurich, puis à Rome et Paris. Pour mieux se consacrer à la composition, il s’installe en 1946 aux Pays-Bas, à Amsterdam, d’abord, puis à Naarden, tout en enseignant à Cologne de 1950 à 1967. Il décède à Naarden, le 21 novembre 1974.
Œuvre originale et d’une grande pureté, le Requiem de Martin est écrit pour quatuor vocal, chœur, orgue, clavecin et un orchestre riche en percussions. Les huit mouvements sont ceux du requiem classique. La partition est très précisément annotée en nuances et en tempi indiquant même les durées souhaitées des interruptions entre les mouvements. L’Introït, au beau climat à la fois apaisé et lumineux, permet aux différents interprètes de prendre la parole successivement. Il est suivi par un Kyrie largement développé, soutenu par l’orgue qui module l’ensemble d’intervalles répétés très étonnants. Le Dies Irae, comme souvent dans les requiem fait largement sonner les percussions tout en laissant au chœur, parfois à l’unisson, une place de premier choix. Le basson avec sa mélopée lancinante joue un rôle étonnant dans l’Ingemisco. Le Sanctus vocalisé et jubilatoire n’est pas sans rappeler celui du War Requiem créé dix ans auparavant. Il est suivi d’un magnifique et très sobre Agnus Dei confié à l’orgue et à l’alto. Les harmonies sur lesquelles repose cette simple et superbe mélodie sont tout simplement magiques. Puis vient un « In Paradisum » tout naturellement en montées chromatiques et un « Lux aeterna » inondé de lumière et apaisé. En somme, une œuvre riche et attachante, à la fois originale et modeste, d’une grande beauté et qu’on aimerait entendre plus souvent.
Gilles Lesur, Oct 2009
Il semble que le seul enregistrement disponible de cette œuvre soit celui-ci dirigé par Klaus Knall (CD Musikszene Schweiz). Les interprètes sont Christine Esser, Verena Barbara Gohl, Martin Bruns, Bernhard Scheffel, Bernhard Billeter, le Collegium Vocale de Zurich, la Capella Cantorum de Constance et le Basel Sinfonietta. La lecture y est recueillie et met bien en valeur toutes les richesses de cette musique qui ne ressemble à aucune autre. Il existe un autre enregistrement réalisé en 1973 sous la direction du compositeur à la cathédrale de Lausanne avec l’Orchestre de la Suisse Romande mais sans doute est-il difficile à trouver.