Le décret du 10 mai…

Le 10 mai dernier, donc 2 jours après l’élection d’Emmanuel Macron, est paru le décret n° 2017-1049, signé de M Cazeneuve et de Mme Azoulay, relatif à la participation d’amateurs à des représentations d’une œuvre de l’esprit dans un cadre lucratif. Ce décret était attendu depuis la promulgation de la loi du 7 juillet 2016 relative à « La liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine». Il est complètement passé inaperçu alors qu’il pourrait avoir des répercussions sur la pratique amateur et notamment sur celle du choeur de l’Orchestre de Paris. Tentons ici de réfléchir aux possibles conséquences de ce décret.

On s’étonnera d’abord de son entrée en vigueur, fixée au 1er octobre 2017, ce qui est un peu inhabituel. Le gouvernement se serait-il senti tenu, avant de quitter ses fonctions, de publier les décrets d’une loi adoptée par le Parlement 10 mois auparavant tout en ouvrant la porte à d’éventuelles adaptations par le suivant ? L’avenir nous le dira. Il est également probable que ce décret soit un jour suivi d’arrêtés… Toujours est-il que la lecture de ce texte, difficile pour un non spécialiste, interroge et pose plus de questions qu’elle ne donne de réponses. Mais la loi était déjà confuse il n’y a donc rien d’étonnant à ce que ce décret le soit également.

La première phrase de l’article 1 s’étend sur 10 lignes et est rédigée d’un seul tenant ! En résumé cela donne : « La représentation en public d’une œuvre associant pratique amateur et professionnelle dans le cadre d’un accompagnement pédagogique ou d’activités d’éducation artistique et culturelle peut être donnée au titre de la restitution d’ateliers pédagogiques encadrés par des professionnels ou être intégrée dans la programmation de ces structures». Ce langage, bien qu’opaque, suggère que l’association amateur/professionnel dans un cadre pédagogique poserait donc moins de difficultés que dans d’autres cadres. Mais le décret ne définit pas l’accompagnement pédagogique et l’éducation artistique et culturelle ce qui peut porter à tous types d’interprétation.

Juste après il est écrit que « La participation d’un groupement d’amateurs constitué sous forme associative à des représentations (ndlr : dans un cadre lucratif) ne saurait constituer la part principale de sa pratique amateur ». Autrement dit, la pratique amateur, lorsqu’associée à une pratique professionnelle dans un cadre lucratif, poserait quantitativement problème. Il semble très clair qu’ici le législateur souhaite limiter ce type d’activités mixtes en demandant aux amateurs de conserver préférentiellement leur activité en milieu amateur et non lucratif. De plus, il n’est pas fait mention des nombreux amateurs exerçant hors d’un statut associatif ce qui constitue une interrogation supplémentaire.

L’article 2 précise aussi que la participation des amateurs devra être indiquée sur les supports de communication du spectacle. Autrement dit si l’on prend l’exemple d’un concert avec le Chœur Mozart, il devra donc figurer la mention : Choeur Mozart, chœur constitué d’amateurs ! Admettons mais n’est-ce pas déjà le cas ? Cet article 2 donne aussi et surtout des chiffres qui interrogent : “Le nombre de représentations ne peut excéder annuellement un total de 8 pour les spectacles auxquels participent des groupements d’artistes amateurs constitués, 10% du nombre total des représentations lucratives composant la programmation des structures constituées”. Il est aussi spécifié « Un même amateur ne peut participer, à titre individuel, à plus de 10 représentations annuelles». Cette formulation très obscure est certainement le centre de ce décret. S’il s’agit comme indiqué de “représentations “une limite de 8 spectacles ne semble pas pouvoir être un problème. En revanche, les 10% des représentations d’une structure constituée évoqués comme seuil seront très vite atteints sans même parler des 10 réprésentations annuelles ce qui est vraiment peu et sera rapidement dépassé dans les strucures ayant une activité “normale”, par exemple pour un grand choeur amateur. Mais il est précisé ensuite d’une façon assez française (on fait des lois tout en prévoyant des exceptions) « Le ministre de la Culture peut accorder aux structures ou amateurs, après avis du Conseil National des professions du spectacle, une autorisation de dépassement des plafonds précités pour la représentation d’un spectacle d’un intérêt artistique particulier et pour laquelle la participation d’amateurs est l’une des conditions de la réalisation de tout ou partie du projet artistique ». Connaissant les délais habituels de fonctionnement de ce type d’organisme on est aussi en droit de s’interroger sur ces avis qui pourraient être rendus après la tenue des spectacles…

Les articles de 3 à 6 qui terminent ce décret s’intéressent à l’aspect administratif incitant les outils de production subventionnés à faire une convention pluriannuelle, à télédéclarer 2 mois avant chaque production concernée par le recours aux amateurs, à évaluer la rémunération des amateurs ( ?) ou groupements d’amateurs et à d’éventuelles sanctions financières en cas de non-respect de ces règles.

En somme, ce décret vise clairement à brider la pratique amateur, notamment des ensembles de haut niveau, à forte activité et qui collaborent régulièrement avec des ensembles professionnels. Concernant le domaine qui nous intéresse ils ne sont pas si nombreux dans notre pays et on devine aisément, sans tomber dans la paranoïa, qui est visé. Espérons que la nouvelle équipe gouvernementale n’avalisera pas ces étonnantes et si françaises dispositions certainement prises sous la pression de groupes professionnels de même activité. Comme si amateurs et professionnels n’avaient pas plutôt intérêt à se joindre les uns aux autres comme ils le font régulièrement dans certains des pays qui nous entourent. Le président Macron qui cherche à faire entrer notre pays dans le XXI° siècle aura, on l’espère, à cœur de s’intéresser à ce décret et à le faire évoluer dans un sens plus collaboratif que réglementaire et dissuasif, la pratique amateur étant essentielle à la vie culturelle et pour une société plus apaisée.

La rédaction, le 9 juin 2017

Remerciements à Simon Corley, Stéphane Grosclaude et Nicolas Maubert