Le Berlioz de Sokhiev

Les affinités de Tugan Sokhiev avec Hector Berlioz sont connues de longue date. Dès son arrivée à l’Orchestre National du Capitole de Toulouse en 2008, Tugan Sokhiev a programmé Berlioz et on se souvient notamment d’une magnifique «Damnation de Faust» donnée à Toulouse et Paris en 2013 et d’une «Grande Messe des Morts» à la Philharmonie de Paris en février 2015.

Tugan Sokhiev récidivait en cette année 2016 au cours d’une tournée européenne de l’Orchestre National du Capitole de Toulouse passant par Vienne, Linz et Budapest avant San Sebastian et Oviedo. A Vienne comme en Espagne figurait notamment au programme la «Grande Messe des Morts» de Berlioz, un classique à la fois pour l’orchestre qui l’a donnée début avril au Bolchoï (dont Tugan Sokhiev est directeur musical) et les 23 et 24 mai à Vienne, mais aussi pour l’Orfeón Donostiarra, déjà du voyage à Paris en février 2015, et qui participait aux 2 concerts donnés les 31 mai et 2 juin en Espagne.

Ces 2 concerts en Espagne ont été tout simplement exceptionnels. Tugan Sokhiev est l’artisan premier de cette réussite grâce au travail de fond qu’il mène depuis son arrivée à Toulouse. En effet, l’orchestre du Capitole de Toulouse est apparu lors de ces deux représentations d’un niveau international. La beauté des cordes, la puissance et capacité de nuances des contrebasses, l’harmonie fruitée, élégante et bien sonnante, les cuivres puissants et précis ainsi qu’une écoute mutuelle et le soin à « jouer ensemble », une constante dans les très bons orchestres, font de toute évidence de cet ensemble un orchestre avec lequel il faut désormais compter. Il s’agit sans doute du meilleur orchestre symphonique français du moment et il serait bien que la Mairie de Toulouse se donne rapidement les moyens de faire construire l’auditorium moderne qu’un tel ensemble mérite. A cette qualité orchestrale déjà séduisante, s’ajoute la direction, à mains nues et d’une grande élégance, à la fois précise, contrastée et raffinée d’un Sokhiev qui a encore muri son interprétation par rapport à sa prestation à la Philharmonie de Paris. Il parvient ici à communiquer à ses 200 musiciens et à chaque instant le souffle de cette fascinante musique. Les orages berlioziens (fabuleux «Tuba Mirum») sont bien au rendez-vous mais sans tomber dans la caricature, le très émouvant « Quid su miser » confié aux seuls ténors ravit grâce au superbe cor anglais de Gabrielle Zaneboni, les harmonies puissantes de l’«Hostias» résonnent avec richesse et puissance et le « Sanctus », magnifiquement et pleinement chanté par Saimir Pirgu, parenthèse suspendue de l’œuvre, apporte sa lumière apaisée.

Le chœur basque Orfeón Donostiarra est tout aussi exceptionnel et ce quel que soit son effectif (140 chanteurs à San Sebastian, 90 à Oviedo). Homogénéité dans tous les pupitres, précision de l’intonation, polyphonie audible à chaque instant, fortissimi puissants et lumineux mais jamais saturés, pianissimi extrêmes présents et habités, beauté des textures, palette de nuances inouïe, du très grand art. On retiendra aussi cet étonnant «Quarens me» chanté a cappella d’une justesse absolue d’esprit comme d’intonation et ce phénoménal « Lacrimosa » tendu comme une arche mais tenu avec vigueur et passion malgré sa longueur et les tensions vocales qu’il contient.

«Si j’étais menacé de voir brûler mon œuvre entière, moins une partition, c’est pour la « Messe des morts » que je demanderais grâce» disait Berlioz. Avec Tugan Sokhiev au pupitre, un Orchestre National du Capitole de Toulouse des très grands jours, un exceptionnel Orfeón Donostiarra, tous transcendés par la direction flamboyante de cet immense berliozien, comment ne pas acquiescer ?

Ces mêmes interprètes nous doivent absolument « Benvenuto Cellini » et « Les Troyens »….Pour l’ouverture du futur Auditorium de Toulouse ?

Grande Messe des Morts, Hector Berlioz, Orchestre National du Capitole de Toulouse, Orfeón Donostiarra (chef de choeur : José Antonio Sainz Alfaro), Saimir Pirgu ténor, direction : Tugan Sokhiev

San Sebastian, Auditorium, Kursaal, 31 mai 2016

Oviedo, Auditorio, 2 juin 2016

De notre envoyé spécial en Espagne, Gilles Lesur

Les deux principaux artisans de ces enthousiasmants Requiem de Berlioz en Espagne : à droite Tugan Sokhiev et à gauche le chef et directeur depuis bientôt 30 ans de l’Orfeón Donostiarra, José Antonio Sainz Alfaro (photo : Thierry d’Argoubet, Twitter)

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