Messe cum jubilo

Maurice Duruflé (1902-1986) appartient à ces compositeurs français trop volontiers laissés de côté dans leur pays. Né à Louviers dans l’Eure le 11 janvier 1902 et chanteur à la maîtrise de la cathédrale de Rouen, il acquiert l’essentiel de sa formation à Paris. Il y apprend, d’une part, l’orgue auprès de Eugène Gigout, Louis Vierne et Charles Tournemire et, d’autre part, la composition, surtout avec Paul Dukas. Maurice Duruflé sera d’ailleurs organiste titulaire à Saint-Etienne-du-Mont et suppléant de Vierne à Sainte-Clotilde et à Notre-Dame de Paris.

En tant qu’organiste, il créa en 1939 avec Roger Désormière le magnifique concerto pour orgue et orchestre de Poulenc. Il sera également pendant près de 20 ans chargé de l’enseignement de l’harmonie au conservatoire de Paris. S’il est vrai que son Requiem, crée par Paul Paray en 1947, est parfois donné en concert, le reste de l’œuvre de Duruflé est mal connu. La Messe cum jubilo pour baryton solo, chœur de barytons, orchestre et orgue, œuvre dédiée à sa femme Madeleine, ne fait pas exception et se trouve être plus souvent donnée à l’étranger qu’en France : un comble !

Œuvre presque ultime de Duruflé, la dernière étant le Notre Père composé en 1977, cette messe fait pendant au Requiem malgré les années qui les séparent. Cette courte messe, consacrée à la Vierge, est écrite pour une formation originale associant un baryton soliste et un chœur de barytons. Il en existe trois versions, respectivement avec orgue (1967), avec grand orchestre (1970) et avec orchestre réduit (1972).

De climat proche du grégorien, elle est monophonique pour sa partie vocale. Le premier mouvement Kyrie annonce le climat général très recueilli de l’œuvre. On y entend une superbe mélodie toute simple et très française de style, chantée par le hautbois dans la version orchestrale. Les barytons, intervenant d’abord dans un rythme riche en triolets, sont ensuite sollicités mezzo forte dans la partie supérieure de leur registre pour le Christe eleison, avant la reprise piano du Kyrie eleison initial. Le second mouvement Gloria, véritable cœur de l’œuvre, déborde d’une belle et brillante jubilation confiée aux cuivres aigus dans les parties initiale et finale et résonne dans sa partie centrale d’un climat plus humble confié au baryton soliste. Le Sanctus débute par un andante implorant pendant lequel le chœur dialogue avec le cor solo avant que le mouvement ne s’accélère jusqu’à un Hosanna à l’esprit festif et percussif qui précède le retour à l’apaisement final. Le très court et dépouillé Benedictus est confié au baryton. L’Agnus Dei final débute par une superbe introduction à nouveau confiée au hautbois avant d’exposer successivement d’abord piano, puis mezzo forte et à nouveau piano à trois reprises la supplique de piété. Entre temps, un solo de cor aura imprégné ce passage de son chant raffiné. Une très émouvante musique apaisée, simple, entièrement en nuances médianes et finalement très proche dans l’esprit du Requiem de Fauré.

La version avec grand orchestre et orgue dirigée par Michel Plasson et avec Thomas Hampson, Marie-Claire Alain, l’Orchestre du Capitole de Toulouse et le chœur Orfeón  Donostiarra (José Antonio Sainz Alfaro, direction) est probablement la plus belle. Publiée par EMI en 1999 et couplée avec le Requiem op.9, les Quatre motets sur des thèmes grégoriens op.10 et le Notre Père op.14 pour chœur a cappella, elle bénéficie de l’incroyable acoustique de Notre Dame de La Daurade à Toulouse. Le pupitre de barytons du chœur amateur basque, qui décidément aime la musique chorale française, est de niveau professionnel. Quant à la version avec orgue, elle a été enregistrée chez Naxos par l’ensemble vocal de Michel Piquemal en compagnie de Didier Henry, ancien membre du chœur de l’Orchestre de Paris.

Espérons qu’un jour enfin le chœur de l’Orchestre de Paris fasse entrer ces 2 magnifiques oeuvres à son répertoire, si possible avant 2022, année des 120 ans de la naissance de Maurice Duruflé…

Gilles Lesur, 8/2015 (actualisation le 11/1/2018)

Messe cum jubilo  op.11 de Maurice Duruflé (1966)