Compositeur tchèque, né en 1890 à Polićka en Bohème, Martinů étudie le violon puis l’orgue, rapidement en autodidacte, avant d’intégrer comme second violon la toute jeune Philharmonie Tchèque dirigée par Václac Talich. Il y découvre de l’intérieur la musique française, une des passions de Talich et aussi Stravinsky. Né en milieu francophile, il gagne Paris en 1923, où il restera 17 ans et y rencontre Albert Roussel, une personnalité qui va le marquer profondément et qui disait « Mon chef d’œuvre, ce sera Martinů ». En 1931, il épouse une Française, Charlotte Quennehen. Présent à Paris lors de l’invasion de la Tchécoslovaquie par les troupes nazies, il passe en zone libre avant d’émigrer depuis le Portugal vers les Etats-Unis en 1941. Il y nouera des relations suivies notamment avec Georges Szell et Eugène Ormandy, hongrois arrivés entre les deux guerres, et Serge Koussevitzky, américain d’origine russe passé par Paris et directeur du Boston Symphony Orchestra pendant plus de 20 ans.
Lorsque Martinů retourne en Europe après la guerre, il vit alternativement en France et en Suisse où il meurt le 28 août 1959. Auteur de plus de 400 œuvres, dont six extraordinaires symphonies (la 6e et dernière créée par Charles Münch à Boston en 1955), d’une superbe fresque orchestrale « Piero della Francesca », de très nombreuses pièces de musique de chambre, d’une douzaine d’opéras, dont le célèbre « Juliette » magnifiquement monté il y a quelques années à Paris, Martinů s’est toujours intéressé aux voix et à la musique pour chœur.
Lorsqu’il apprend l’invasion de son pays en 1939, il souhaite s’engager mais ses 50 ans l’en empêchent. Il compose alors pour ses compatriotes au combat une œuvre de circonstance destinée à l’exécution en plein air. L’œuvre est terminée en novembre 1939 mais la guerre rend sa création impossible. Un instrumentarium original et sans cordes (harmonium, piano, cuivres, clarinettes, flûtes, une riche percussion avec triangle, sistre et clochettes) accompagne un baryton et un chœur d’hommes. Des textes folkloriques, des poèmes de JiŕÍ Mucha, des extraits de la Bible (psaume 42) et de la messe catholique constituent le support de l’œuvre.
Après une brève introduction orchestrale, le chœur accompagné du baryton chante un très émouvant Notre Père, en tchèque, puis une sonnerie militaire retentit avant que le chœur n’entonne un Kyrie Eleison, suivi d’une nouvelle prière en tchèque. Le final dans le grave des voix a cappella n’est pas sans rappeler la liturgie orthodoxe. L’orchestration est rutilante avec une utilisation lumineuse de la percussion, des gammes ascendantes et descendantes très en situation, contribuant à un climat déterminé, implorant ou apaisé selon les moments. Le son Martinů est très reconnaissable avec ce mélange de lumière et d’une énergie souvent motorique qui n’est pas sans rappeler le maître Roussel et le Stravinsky des Noces tant admirées. Un très émouvant chef d’œuvre à découvrir dès que possible.
L’œuvre fut créée à Prague le 28 février 1946 par le Chœur et la Philharmonie tchèques sous la direction de Rafaël Kubelik, mais en l’absence du compositeur qui ne reverra jamais sa terre natale. On imagine l’émotion du public entendant cette musique poignante quelques mois après la libération mais sans imaginer que ces mêmes forces soviétiques vont occuper le pays. On regrette que la France, une des terres d’adoption de ce musicien attaché à sa patrie mais cosmopolite, n’honore pas ce musicien à la hauteur de son génie. Quand on pense notamment que Charles Munch, l’ami qui a aidé Martinů pendant la guerre, a fondé l’orchestre de Paris qui programme si rarement Martinu, quel dommage ! Messieurs et Mesdames les directeurs d’orchestre, un peu d’imagination, il n’y a pas que Mahler, Beethoven ou Brahms. Il serait temps que l’on puisse enfin entendre à Paris l’œuvre symphonique de Martinů. En attendant, pour écouter du Martinů, il faudra continuer d’aller à Londres, Amsterdam, New York, Philadelphie ou, bien entendu, Prague….
Gilles Lesur, avril 2008
Deux enregistrements de « La Messe de campagne » (Polní Mše) de Bohuslav Martinů sont actuellement disponibles, celui du Czech Philharmonic Orchestra avec Ivan Kusnjer et le Czech Philharmonic choir (Lubomír Mátl, direction), tous dirigés par Jiŕi Bĕlohlávek (Chandos) (couplée à la superbe quatrième symphonie et au mémorial de Lidice) et celui du Czech Philharmonic Orchestra avec Vaclav Zitek et toujours le Czech Philharmonic choir (Lubomír Mátl, direction), cette fois, sous la baguette de Charles Mackerras (Supraphon). Cet enregistrement, dirigé par un spécialiste reconnu de la musique tchèque est lui aussi de grande valeur. Il est couplé à deux autres œuvres extraordinaires de Martinů, les Fresques de Piero de la Francesca et le concerto pour cordes, timbales et percussion. Deux merveilles à découvrir dès que possible… comme toute l’œuvre de Martinů.