La Hongrie en Catalogne

Mariss Jansons étant à nouveau souffrant, c’est Ádám Fischer qui dirigeait lundi soir dernier à Barcelone l’Orchestre de la Radio Bavaroise en déplacement en Espagne. Né à Budapest en 1949 ce musicien complet formé en piano et composition à l’Académie Franz-Liszt puis en direction à Vienne par Hans Swarowsky, est le frère aîné d’Iván Fischer également chef d’orchestre de talent et le cousin de György Fischer, pianiste renommé. Il a dirigé tous les grands orchestres et, dans la lignée d’Antal Dorati, a enregistré à la tête d’un ensemble créé pour l’occasion une intégrale des symphonies de Haydn chez Nimbus. Aller l’entendre à la tête d’un des meilleurs orchestres du monde dans cet extraordinaire “Palau Música Catalana” situé dans le vieux Barcelone, à deux pas de la cathédrale, était très enthousiasmant. Cette salle de concerts a été construite au début du XXe siècle par l’architecte LluísDomènech i Montaner, catalan militant et figure clé de l’époque.

Son style, véritable mélange de baroque et d’art nouveau n’est pas sans rappeler l’inventivité et le souffle des délires contemporains d’un certain Gaudi. Comme un autre chef d’œuvre barcelonais, “L’Hospital de Santa Creu i Sant Pau”, également due à LluísDomènech i Montaner, cette salle est inscrite depuis 1997 au patrimoine mondial de l’Unesco. Des œuvres majeures comme le concerto pour clavecin de De Falla et le concerto d’Aranjuez de Rodrigo y ont été créés.
Au programme de cette soirée, le concert romanesque de Ligeti une œuvre de jeunesse (1951) qui commence et se termine comme du Boccherini mais dont la partie centrale est toute tzigane avec une citation du concerto pour orchestre de Bartok. La mise en place est impeccable, la direction enthousiaste et les belles couleurs orchestrales résonnent magnifiquement dans cette salle à l’acoustique réputée, à juste titre. La seconde pièce au programme était la 97e symphonie de Haydn, une œuvre très classique, on aurait envie de dire viennoise, si elle n’avait pas été écrite à Londres en 1792. Tout y était juste, le tempo, l’énergie rebondissante mais jamais agressive, l’équilibre parfait des pupitres et la beauté du son des instruments modernes. De plus, on percevait une vraie joie de jouer cette musique, il est vrai, magnifiquement écrite. Le chef, bien entendu, mais les instrumentistes aussi, semblent connaître sur le bout des doigts cette musique sans doute souvent jouée avec Jochum, Davis et Jansons, tous grands interprètes de Haydn. L’oreille était notamment attirée par un superbe hautboïste, sans doute François Leleu, premier solo de cette formation. Après l’entracte, Ádám Fischer attaquait bille en tête la 5e symphonie de Beethoven. Ce fût là encore une belle interprétation très “Mitteleuropa” de style, avec ses somptueuses cordes graves et une harmonie riche et sonnante et grâce aussi à une énergie puissante mais toujours contrôlée malgré la gestique parfois emportée et peu académique d’Ádám Fischer. L’accueil enthousiaste du public témoignait d’un évident plaisir partagé. L’homme Fischer étant généreux, il offre avec ses musiciens deux bis qui terminent en beauté ce magnifique concert, un tendre adagio d’une symphonie de Haydn et l’inévitable cinquième danse hongroise de Brahms menée tambours battants.
Si vous passez par Barcelone et qu’un concert au Palau MúsicaCatalana est programmé, précipitez-vous. Vous pouvez aussi le visiter en journée et profiterez alors de la magnifique lumière de cette salle ouverte sur l’extérieur. Mais n’hésitez pas à y retourner le soir pour la découvrir en situation. Vous ne trouverez nulle part ailleurs une telle salle de concert.

Gilles Lesur
Barcelone, 25 octobre 2010, Palau Música Catalana, Concert romanesque de György Ligeti (1923-2006), Symphonie n°97 en ut majeur de Joseph Haydn (1732-1809), 5e symphonie op. 67 en ut mineur de Ludwig van Beethoven (1770-1827), Orchestre de la Radio Bavaroise, Ádám Fischer, direction