Krivine au National

L’information circulait sous le manteau depuis des mois mais elle vient seulement d’être rendue officielle : le chef français Emmanuel Krivine sera à partir de septembre 2017 le directeur musical de l’Orchestre National de France. D’ici là il assurera la fonction de directeur musical désigné. Il succédera donc à Danielle Gatti en partance pour Amsterdam après 8 ans passés à la tête de cette institution. Cette nomination intervient en même temps que celle d’Eric Denut à la direction artistique de l’Orchestre National de France et de celle de Jean-Marc Bador à ce même poste au Philharmonique de Radio France dirigé par Mikko Franck.

Si certains se réjouiront, 44 ans après Jean Martinon, de voir à nouveau un français à la tête du plus prestigieux des orchestres hexagonaux, d’autres s’étonneront de cette nomination pour plusieurs raisons. A bientôt 70 ans, Emmanuel Krivine, s’il a certes de l’expérience, n’a toutefois pas, contrairement à Kurt Masur ou Danielle Gatti, dirigé les plus grands orchestres du monde, notamment ceux de Vienne et Berlin et il reconnait avec une modestie qui lui fait honneur qu’il ne sait pas tout diriger. Si son expérience de directeur musical à l’Orchestre National de Lyon (1987-2000), puis à l’Orchestre Philharmonique de Luxembourg (2006-2015) et plus récemment à la Chambre Philharmonique fondée en 2004 lui servira incontestablement dans sa nouvelle mission, ce n’est un secret pour personne que la situation à Radio France, avec notamment un Orchestre Philharmonique en pleine forme (et que Krivine a d’ailleurs souvent dirigé dans le passé) est complexe. Intellectuellement brillant et souvent passionnant, il n’empêche que Krivine n’est pas précisément un caractère facile et il est assez improbable que ses nombreuses années de psychanalyse, dont il parle non sans humour, en ait fait un homme doué de diplomatie. Et l’Orchestre National de France, toujours en quête d’un nouveau souffle dans une maison de Radio qui a du mal à remplir son auditorium, a sans doute d’abord besoin d’inventer et de se renouveler. Ce nouveau départ espéré intervient toutefois dans  un contexte de restrictions budgétaires et avec le serpent de mer d’une éventuelle réduction des effectifs.

Un homme, certes expérimenté et bon musicien, mais fragile dans les rapports humains aura-t-il l’énergie et le talent nécessaires à diriger l’Orchestre National de France ? A voir. D’autres structures symphoniques ont récemment fait le choix de directeurs musicaux jeunes, on pense notamment à Mirga Gražinytė-Tyla, 29 ans, nommée à l’Orchestre Symphonique de Birmingham, au finlandais Santtu-Matias Rouvali nommé à 30 ans à l’Orchestre symphonique de Göteborg ou à Robin Ticciati qui succédera bientôt à 33 ans à Tugan Sokhiev à l’Orchestre Radio Symphonique de Berlin. De tels choix sont toujours risqués mais sans doute plus susceptibles de réussir…En tout cas, rendez-vous est pris pour 2020, à l’issue du premier mandat de 3 ans d’Emmanuel Krivine. En espérant un bilan positif !

Gilles Lesur, le 13/6/2016