Johannes, ein wiener Prinz !

Après une symphonie 8e Symphonie de Mahler donné à Paris avec notammment le Wiener Singverein,
Gilles Lesur, de passage à Vienne retrouve son chef Johannes Prinz pour un moment avec Berlioz…

L’homme, grand et élancé, a belle allure, le regard vif et le sourire facile. Son nom, qui signifie prince en allemand, lui va bien. Il est depuis 1991 le chef du Wiener Singverein, le chœur viennois qui fête cette année ses 150 ans. Le site www.singverein.at retrace l’incroyable histoire de ce chœur symphonique amateur notamment dirigé par Brahms, Mahler, Berlioz, Liszt, puis par toutes les plus grandes baguettes du XXe siècle. Beaucoup des chefs invités considèrent que cet ensemble a un niveau professionnel. Il est composé d’environ 200 chanteurs de tous âges, et pour la plupart fidèles, qui répètent 2 fois 3 heures par semaine le lundi et le jeudi. La programmation de cette saison anniversaire est impressionnante : Elias dirigé par Johannes Prinz, les Symphonies 2, 3 et 8 et “Das Klagende Lied” de Mahler, les Requiem de Mozart, Berlioz et Dvorak, les Messes en ut de Beethoven et Schubert, le “In terra pax” de Martin, les Nocturnes de Debussy, les Pièces Sacrées de Verdi, les Chichester Psalms de Bernstein et le “Survivant de Varsovie” de Schönberg. Il n’y a donc pas de temps pour l’a cappella pratiqué par d’autres ensembles viennois à l’effectif plus adapté. Jansons, Luisi, Boulez, de Billy, Prêtre, Welser-Möst, Metzmacher et Marshall se succèderont cette année au pupitre. Les concerts sont surtout donnés avec l’Orchestre Philharmonique de Vienne dans la grande salle dorée du Musikverein (celle du concert du Nouvel An) ou moins souvent au Konzerthaus, mais aussi aux festivals de Salzbourg et lors de réguliers déplacements à l’étranger (Moscou en 2007, Paris en 2008 et Amsterdam en 2009). Le charisme de Johannes Prinz avait séduit le Chœur de l’orchestre de Paris lors de la “Symphonie des Mille” de Bercy. J’ai souhaité garder le contact et lorsque je l’ai informé de ma venue à Vienne, j’étais aussitôt invité à une répétition, Johannes me précisant “Berlioz, Grosse Toten Messe”. Je glissais dans ma valise une Breitkopf un peu usée et lundi à 18 heures, j’étais devant la “Metallene Saal”. L’accueil de Johannes est très chaleureux. Je lui remets un DVD de la huitième de Mahler de Bercy. Il semble ravi et le montre avec joie à ses chanteurs. Il m’invite à rejoindre mes collègues barytons, me présente et la répétition commence. La disposition est inhabituelle, les barytons au 3e rang, les soprani derrière, les ténors et les alti sont devant rang par rang. Un quart d’heure d’exercices à la tonicité décapante puis la répétition commence. Johannes donne les notes avec une belle voix de baryton, parle peu mais avec précision, sait exactement ce qu’il veut, connaît très bien son Berlioz, dirige à peine laissant le plus souvent chanter. On commence par le “Lacrimosa” qui rapidement sonne beau, suivi du “Quaerens me” qui deviendra juste à la seconde lecture après quelques remarques un peu sèches mais très rapidement efficaces. Ce qui ne l’empêche pas plus tard de blaguer en riant aux éclats. Et certains choristes n’hésitent pas à plaisanter en retour. Ambiance détendue et studieuse à la fois. Il n’est pas question de s’épargner même en répétition car Johannes demande beaucoup mais au final la musique est déjà là. Tout cela est rythmé, énergique et sans temps mort. A 21 heures, le Requiem a été lu presque en entier. Je remercie Johannes de son accueil, nous nous trouvons des points communs, notre âge (50 ans cette année), un passé de petit chanteur, une passion pour Berlioz. A propos de la fugue du Sanctus, il me demande : la faites-vous très legato à Paris ? “Sehr legato” lui dis-je. “Montre-moi”… et je lui chante du mieux possible le thème legatissimo ! Je lui fais part de mon rêve de venir chanter à Vienne au sein de ce magnifique chœur. Un autre chœur amateur viennois ayant été engagé et la scène du Musikverein n’étant pas grande ce ne sera malheureusement pas possible pour Berlioz. Et, me prévient-il, il faudra l’accord de notre président. A suivre…Vous l’avez compris, cette répétition fut un grand moment de plaisir et de musique. La magie d’être à Vienne et l’extraordinaire musique de Berlioz n’expliquent pas tout. Il y avait aussi cette joie de faire de la musique avec un grand professionnel, enthousiaste, chaleureux, drôle, qui aime chanter et faire chanter. Eva, une choriste viennoise rencontrée à Paris nous avait dit de Johannes, non sans fierté “C’est le meilleur”! Elle disait aussi : “Chut, ne le répétez pas” ! Bis bald Johannes im Wien oder Paris…

Gilles Lesur