Jesus reviens….

Même si sa carrière se déroule depuis de nombreuses années au plus haut niveau, il n’est pas suffisamment connu en France. Le chef d’orchestre espagnol Jesús López Cobos, 75 ans, ancien premier prix du concours de Besançon formé auprès de Franco Ferrera en Italie et d’Hans Swarowsky à Vienne, a pourtant notamment été directeur du «Deutsche Oper Berlin” (1981-1990), de l’Orchestre National d’Espagne (1984-1989), de l’Orchestre de Chambre de Lausanne (1991-2000), de l’Orchestre français des jeunes (1998-2001) et de l’Orchestre symphonique de Cincinnati (1986-2001) où il a précédé un certain Paavo Järvi. Il a dirigé partout dans le monde et est considéré comme un chef aimant les voix et l’opéra. Il était d’ailleurs récemment à l’opéra de Genève pour «Guillaume Tell» de Rossini. Il a également été directeur du Teatro Real de Madrid pendant plusieurs années. En 2011 il a fait des débuts tardifs à l’Orchestre de Paris avec la “Messe de Sainte Cécile” de Gounod. A cette occasion, il s’était livré sur son parcours humain, sa foi et son intérêt pour la philosophie (il est diplômé de l’Université de Madrid et est réputé être un savant de la musique) et avait séduit l’ensemble des chanteurs du chœur de l’Orchestre de Paris comme son chef Lionel Sow, alors tout récemment nommé.


Il était de retour en ce début de saison 15/16 pour un «Stabat Mater» de Rossini qui s’avérera être d’anthologie. Cette œuvre avait déjà été donnée par le chœur de l’Orchestre de Paris sous la direction de Semyon Bychkov en 1996 et surtout de Carlo Maria Giulini en 1979 pour 3 extraordinaires concerts au Palais des Congrès et au Théâtre des Champs Elysées. J’ai la chance d’avoir participé à ces concerts qui sont encore très présents dans ma mémoire et qui restent au jour d’aujourd’hui, et malgré de très nombreuses autres représentations, une de mes plus fortes émotions musicales en tant que chanteur.

Jesús López Cobos appartient manifestement à la même famille que Carlo Maria Giulini : celle des artistes et des seigneurs. Certes, le physique des deux hommes n’a pas grand-chose à voir, Lopez Cobos avec sa classe naturelle et sa barbe blanche faisant plutôt penser à Fernando Rey qu’à un italien du Nord distingué comme l’était Carlo Maria Giulini. Mais humainement, artistiquement comme spirituellement le rapprochement est évident. L’extrême courtoisie et la gentillesse de l’homme, qui parle un excellent français avec un délicieux accent, sont évidentes comme le sont aussi la musicalité racée et élégante ainsi que la détermination à obtenir l’interprétation souhaitée. De plus, l’évidente humilité de l’homme ne met aucun obstacle entre la musique et les interprètes. Et puis il y a ce regard profond et scintillant qui fait qu’il vous emmène avec lui vers la musique. Lors des redoutables passages a cappella (dirigés sans baguette) comme lors de la fugue finale, Jesús López Cobos a mis, comme Giulini le faisait, la passion et l’énergie vitale qui fait jaillir la joie de cette musique. Il y a aussi mis sa foi ce qui, me semble-t-il, s’entendait ! Comme Giulini, l’homme semble bon et dégage une humanité simple et rayonnante très impressionnante. Juste avant les 2 concerts, il a également spontanément souhaité venir parler au chœur pour le remercier et le féliciter. A cette occasion il a évoqué les débuts de sa carrière comme chef de chœur et a révélé qu’il pensait n’y avait rien de plus beau que le pianissimo d’un chœur a cappella. Comme il a raison ! Giulini disait lui que la quintessence de la musique était le quatuor : on est donc vraiment très près ! Seule vraie différence on sent chez Jesús López Cobos une joie profonde dans l’acte de faire de la musique alors qu’il y avait souvent chez Giulini, surtout à la fin de sa vie, plus de souffrance que de joie.
Ce qui est certain c’est que Jesús López Cobos a conquis l’ensemble des chanteurs du chœur et des musiciens. Espérons bientôt revoir cet artiste exceptionnel et cet homme rare. Jesus reviens !

Gilles Lesur, 2 octobre 2015

Stabat Mater de Rossini, Philharmonie de Paris, 30 septembre et 1 octobre 2015, Chœur de l’Orchestre de Paris (chef de choeur : Lionel Sow) et Orchestre de Paris, Joyce El-Khoury, Vardhuhi Abrahamyan, Paolo Fanale, Michele Pertusi , direction : Jesús López Cobos

Ps : on ne fut donc pas surpris d’apprendre, par Jesús López Cobos lui-même, qu’il admirait le grand chef italien qu’il avait eu l’occasion de côtoyer lorsque ce dernier était directeur du Philharmonique de Los Angeles dans les années 1980…