Hamlet à l’Opéra Comique

Ambroise Thomas est l’exact contemporain de Verdi et de Wagner, de 2 ans leur ainé, il est mort peu de temps avant Verdi en 1896. Emmanuel Chabrier disait : «Il y a deux espèces de musique, la bonne et la mauvaise. Et puis il y a la musique d’Ambroise Thomas»

Mais qui connait Ambroise Thomas en 2018 ? Son nom ne nous ai connu que par 2 des opéras qu’il composa et qui connurent un grand succès : Mignon créé à l’Opéra-Comique en 1866 (le compositeur a alors 55 ans) puis Hamlet créé deux ans plus tard à l’Opéra de la rue Le Peletier peu de temps avant la chute de l’Empire. Ces succès intervenaient après une quinzaine d’œuvre de facture plutôt légère opéra-comiques et opéras bouffes. Mignon reste l’œuvre emblématique du compositeur : à sa mort, 30 ans plus tard, l’Opéra-comique avait dépassé le millier de représentation !

Ironie de l’histoire, c’est Hamlet que la direction de l’Opéra-comique nous propose cette année, 18 ans après une production donnée au Chatelet par le Capitol de Toulouse dans une distribution alors prestigieuse : Thomas Hampson, Nathalie Dessay et José Van Dam mais dans une mise en scène résolument blafarde de Nicolas Joël. D’emblée, saluons une distribution 100% française du plus haut niveau. Stéphane Degout EST Hamlet. Il incarne le personnage qui en devient son personnage, par tous les pores de la peau, par son rapport avec tous les autres protagonistes, par toutes les inflexions de sa voix qui pas un seul instant, n’est prise en défaut. C’est tout à fait magistral. Il en éclipse presque ses partenaires qui tous ont heureusement de la présence pour équilibrer le rapport de force avec le principal protagoniste, à commencer par Sabine Devieilhe que nous attendions tous dans ce rôle qui lui offre un air de folie comme les opéras en raffole, et sans lequel, il faut le dire, cet opéra d’Amboise Thomas ne serait pas aussi populaire. Ce qui est bien avec Sabine Devieilhe, c’est qu’elle met en confiance par une maitrise parfaite de la justesse et du tempo (l’un ne va pas sans l’autre dirions-nous) ce qui est une véritable prouesse dans « son » 4eme acte et qui lui permet d’emmener le spectateur là où elle veut, là où elle le sent. Tout juste pouvons-nous regretter quelques voyelles dans les aigus qui ont du mal à trouver la bonne place pour s’épanouir comme les autres dans la plénitude de son chant, mais cette magnifique chanteuse saura très bien comment y parvenir. Le couple régicide et adultère est parfaitement campé par 2 voix qui s’accordent particulièrement bien : Sylvie Brunet et Laurent Alvaro et notons le soin accordé à l’ensemble de la distribution à commencer par Julien Behr, mais aussi le spectre de Jérôme Varnier, Kevin Amiel, Yoann Dubruque et Nicolas Legoux.

Maintenant, il est possible de répondre à la question initiale : Qui connait Amboise Thomas ? la réponse est … Louis Langrée. A la tête de l’orchestre des Champs Elysées, il prend possession de la partition qu’il porte au plus haut niveau d’expressivité, soulignant chaque détail tout en maintenant la tension dramatique de l’œuvre. Du reste, il montera saluer sur scène avec la partition dans les mains afin que l’œuvre également soit acclamée par le public.

Il est de bon ton de critiquer systématiquement les mises en scène, qui deviennent ainsi la zone de confort des «critiques» (ou réputés comme tel). Ceux-là même qui trouvent les mises en scène «trop modernes» seraient les premiers à ne pas supporter une mise en scène trop traditionnelle … On notera l’usage désormais quasi systématique de la vidéo, plus encore là, du film projeté sur un écran scénique qui permet de voir ce que, de son fauteuil, on ne voit pas. Cyril Teste l’utilise plutôt à bon escient, ce qui permet au spectateur de se sentir au cœur du drame qui se noue, sentiment accru par l’intervention du spectre du roi défunt assis dans le public au 6e rang. C’est résolument efficace, pour peu que la place occupée permette de le voir, ce qui n’est pas le cas de tout le public. Passé l’agacement que peut susciter la présence visuelle des machinistes, cette mise en scène est bien au service de l’œuvre, et pas l’inverse.

Maintenant, reste à exprimer un souhait : que «Mignon» revienne au sérail, dans les lieux où elle fût créée, ou presque, puisque la seconde salle Favart fût détruite par un incendie le 25 mai 1887 pendant une représentation de … Mignon ! Elle sera reconstruite pour devenir celle que nous connaissons actuellement.

Jean-Jacques Renard