Golgotha de Frank Martin

Dixième fils d’un pasteur genevois, Frank Martin compose dès 9 ans sans avoir reçu de formation. A l’âge de 12 ans, il entend la Passion selon Saint-Matthieu qui lui laisse une impression durable et Bach sera, jusqu’à la fin de sa vie, sa référence absolue. Tout en débutant une formation en sciences, il étudie le piano, le clavecin et la composition, d’abord à Genève et Zurich, puis à Rome et Paris. Pour mieux se consacrer à la composition, il s’installe en 1946 aux Pays-Bas, à Amsterdam, d’abord, puis à Naarden, tout en enseignant à Cologne de 1950 à 1967 où il eut notamment pour élève un certain Karlheinz Stockhausen. La reconnaissance internationale vient à la fin de la guerre avec la «Petite symphonie concertante» commande de Paul Sacher créée en 1946 et seule œuvre régulièrement programmée en France. Il décède à Naarden le 21 novembre 1974.

Si parmi les œuvres chorales, la «Messe pour double chœur a cappella» a atteint une certaine notoriété en France il n’en est pas de même ni du magnifique « Requiem » (voir la rubrique chronique) ni des deux autres pièces chorales majeures «Et in terra pax» et «Golgotha». En revanche, ces œuvres sont régulièrement programmées aux Pays Bas surtout et à un moindre degré en Suisse. «Golgotha» est une idée de Martin lui-même et répond à un fort besoin interne suite aux années de guerre et à la paix enfin retrouvée. Sa composition débute pendant l’été 1945 et se termine en juin 1948. La création eut lieu à Genève en juin 1950 sous la direction de Samuel Baud-Bovy. Le modèle est bien entendu Bach et l’inspiration vient de la célèbre eau-forte de Rembrandt « Les Trois Croix » qu’il découvre à Genève lors d’une exposition et qui le frappe de par son opposition formelle nette du monde de la lumière à celui de la nuit.

Oratorio aux couleurs sombres, très luthérien dans l’esprit, il emprunte aussi un dramatisme qu’on retrouve dans les extraordinaires «Monologues de Jedermann» que Dietrich Fischer-Dieskau a marqué à jamais de son empreinte. Mais Martin y voit bien une musique destinée à être jouée dans une église même s’il ne s’agit pas d’une musique d’église. En quelque sorte le drame de la Passion, avec comme héros central et omniprésent le Christ, mais pas un culte. La composition est difficile et Martin s’en ouvre plusieurs fois à Ansermet notamment au cours de l’hiver 1947 particulièrement rigoureux. « Golgotha » est composé de 9 pièces associant chacune un épisode dramatique tiré de la Bible suivie d’une médiation provenant des écrits de Saint-Augustin, à l’exception des numéros 4 et 8 qui ne comprennent pas de méditation. Très proche de Debussy dans sa déclamation cette musique trouve aussi une partie de son inspiration chez Monteverdi et Moussorgski, deux influences que revendiquait Martin.

Le premier tableau figure l’arrivée de Jésus à Jérusalem, le deuxième est consacré au discours du temple, le troisième à la Cène et la quatrième nous conduit à Gethsémani. La seconde partie commence par une longue plainte confiée à l’alto solo et se poursuit par un très émouvant «Jésus devant le Sanhédrin» puis devant Pilate, avant un Calvaire tout dans le texte et un final évidemment consacré à la «Résurrection» de toute beauté. Les enregistrements les plus accessibles sont celui réalisé en public par Michel Corboz en 1999, superbe d’incarnation, et celui réalisé récemment en studio par Daniel Reuss qui est d’une très grande splendeur vocale (Capella Amsterdam, Chœur de chambre Estonien) mais moins habité. Ulf Schirmer et Herbert Böck ont également laissé un enregistrement, l’un réalisé à Munich et l’autre à Vienne. L’enregistrement dirigé par Ulf Schrimer a l’avantage de réunir, outre “Golgotha”, deux autres pièces rares de Martin, “Et in terra pax” et “Pilate”.

Gilles Lesur, 16-11-2012

Franck Martin, Golgotha, oratorio en deux parties d’après les Evangiles et des textes de Saint Augustin pour cinq solistes, chœur mixte, orchestre et orgue.

«Golgotha» sera donné les 22 et 24 mars prochain au Concertgebouw d’Amsterdam avec une belle distribution francophone, l’Orchestre Royal du Concertgebouw et le Groot Omroepkoor sous la direction de Stéphane Dénève.