El Sistema à Salzbourg

Venezuelan composer Jose Antonio Abreu arrives for the Latin Grammy Special Award Presentation in Las Vegas, Nevada on November 4, 2009. Abreu was honored with a Lifetime Achievement Award. AFP PHOTO / Robyn Beck

Que vous le vouliez ou non, que vous soyez déjà rentrés ou non, c’est la rentrée maintenant ou sinon bientôt. La rentrée, ce sont des souvenirs de vacances, le plus souvent agréables, qui progressivement s’effacent pour laisser place à la reprise de nos activités habituelles, certains diraient le retour à nos chaînes….Essayons ici de faire un point, nécessairement subjectif, de ce qui s’est passé musicalement pendant l’été et d’évoquer ce qui pourrait nous aider à envisager cette rentrée avec enthousiasme.

Plusieurs évènements ont été accueillis unanimement ce qui en général témoigne de spectacles exceptionnels. La très attendue «Elektra» de Richard Strauss, donnée à Aix en Provence dans une mise en scène de Patrice Chéreau sous la direction d’Esa Pekka Salonen, a été un grand moment d’opéra ce qui signifie que musique et théâtre étaient au rendez-vous au même niveau. Si vous souhaitez absolument voir ce spectacle il sera repris dans les saisons qui viennent à Milan, Barcelone, New-York et Helsinki. Le «Don Carlo» donné à Salzbourg sous la direction d’Antonio Pappano, dans une mise en scène de Peter Stein et avec une distribution exceptionnelle (Salminen, Kaufmann, Hampson, Harteros, Semenchuk) a lui aussi recueilli tous les suffrages. Diffusé par Arte ou ArteLiveWeb, ces deux productions seront sans doute bientôt accessibles en DVD, même si un DVD ne remplacera jamais un spectacle vu en direct.

Il y a certainement eu d’autres temps forts musicaux ailleurs que dans ces deux grands festivals, mais l’événement de l’été pourrait bien avoir été la présence d’El Sistema au Festival de Salzbourg. En effet, la résidence d’El Sistema du 21 juillet au 11 août dans ce festival prestigieux a pris une résonance plus que musicale. «El Sistema» est ce système de formation musicale fondé il y a maintenant 40 ans au Venezuela par Jose Antonio Abreu (en photo sur cette page). Irradiant d’abord dans tout le pays, puis dans les autres pays d’Amérique du Sud, il a montré son efficience artistique et humaine, permettant à de très nombreux enfants nés dans des familles défavorisées de pratiquer la musique au plus haut tout en s’en sortant d’un point de vue social.

Le désormais très célèbre «Simón Bolívar Symphony Orchestra» et son charismatique chef Gustavo Dudamel ne sont que la partie la plus visible de ce système qui touche en fait plus d’un million d’enfants dans le pays. Et à l’invitation d’Alexander Pereira, directeur du festival de Salzbourg, qui prendra la direction de la Scala en septembre 2014, ce sont 1400 jeunes de ce système qui ont donc fait le voyage pour Salzbourg. Alexander Pereira qui a été voir de l’intérieur «El Sistema» au Venezuela est rentré conquis en pensant qu’il fallait montrer la puissance et les incroyables résultats de cette organisation au monde musical. Et en plus du «Simón Bolívar Symphony Orchestra» et de Gustavo Dudamel, il a donc décidé d’inviter d’autres ensembles issus de cette même organisation, comme le «National Children’s Symphony Orchestra of Venezuela» que Simon Rattle a dirigé dans la première symphonie de Mahler, le «Simón Bolívar National Youth Choir of Venezuela» préparé par Lourdes Sánchez qui a participé aux cotés du Wiener Singverein à la «Huitième symphonie» de Mahler donnée le 24 juillet et quelques jours plus tard à une «Messe en ut» de Mozart, le «Coro de Manos Blancas», le «Venezuelan Brass Ensemble», qu’on a pu entendre mettre le feu au Châtelet à Paris début juillet, le «Youth Orchestra of Caracas» et le «Simón Bolívar String Quartet ». En dehors des concerts traditionnels (si ce terme a encore un sens avec de tels musiciens) il y eut aussi de multiples moments musicaux dans les rues, à la gare ou à l’aéroport de Salzbourg et dans d’autres endroits encore plus insolites. Gustavo Dudamel, devenu le symbole tant aimé de ce système, était accompagné d’autres chefs issus d’El Sistema qui dirigent maintenant des institutions européennes, tels Diego Matheus, directeur de la Fenice de Venise depuis 2011 et Christian Vasquez qui prendra dans quelques jours ses fonctions à Stavanger en Norvège. Dans un geste fort et empathique, Alexandre Pereira a confié à José Antonio Abreu le soin de faire le discours inaugural du festival, pour la première fois de l’histoire de ce festival en espagnol (il est visible sur You Tube). Et il semble que le public classique et parfois guindé du festival de Salzbourg ait réservé un accueil triomphal à ces différentes formations au cours des quinze concerts qu’elles ont données durant cette exceptionnelle résidence. Il faut dire que ces jeunes musiciens, outre qu’ils sont tous beaux et souriants, possèdent au plus haut degré d’évidentes qualités musicales, avec notamment des cuivres à faire pâlir tous les orchestres du monde, et rayonnent de cette joie de faire de la musique ensemble et de ce goût du partage qui manquent tant à nos orchestres symphoniques souvent tristes et routiniers.

Si vous ne connaissez pas encore «El Sistema», il y aura en 2014 deux occasions parisiennes de vous rattraper, l’une pour un programme Tchaïkovski le 19 janvier à Pleyel et l’autre le 22 janvier à Notre-Dame de Paris (oui, vous lisez bien…) pour une «Grande Messe des morts» de Berlioz en collaboration avec Radio France qui promet. Et sachez que Simon Rattle, il y a plusieurs années déjà, disait «El Sistema est ce qui est arrivé de mieux à la musique classique depuis très longtemps ». Maintenant vous ne pourrez plus dire que vous ne saviez pas. Et si vous pensez que j’exagère, allez voir les vidéos disponibles sur You Tube, elles parlent d’elles-mêmes… Après tout le pape est argentin et l’Amérique du Sud a plein de choses à nous apprendre. La preuve, El Sistema. Bonne rentrée !

Gilles Lesur, 29/8/2013

PS : El Sistema a donné des idées jusqu’en France. Cela s’appelle «DEMOS» (Dispositif d’Éducation Musicale et Orchestrale à vocation Sociale), un acronyme bien français, sans doute inventé par un fonctionnaire neurasthénique, qui ne fait pas vraiment rêver… A suivre de très près !