Le 19 décembre 2001 le Chœur de l’Orchestre de Paris interprétait, sous la direction de Vladimir Fedosseiev, un Requiem de Dvořák resté dans toutes les mémoires. Ce chef avait poussé le chœur au-delà de ses limites. Christian Merlin écrivait alors dans les colonnes du Figaro: «Ces 160 amateurs en ont remontré à bien des professionnels par la puissance de leur projection, la rondeur de leur sonorité et leur palette de nuances.» Trop rarement donné au concert et n’ayant pas atteint la célébrité des Requiem de Verdi, Brahms ou Berlioz, le Requiem de Dvořák n’en est pas moins un chef d’œuvre. Un chef d’œuvre typiquement slave dans la tristesse et la nostalgie qu’il dégage notamment par l’utilisation de ce leitmotiv cité de Bach auquel Josef Suk rendra hommage en 1906 dans sa symphonie «Asraël». Dvořák débute la composition de son Requiem en 1890 mais la création n’a lieu que le 9 octobre 1891 à Birmingham sous la direction du compositeur. Il s’agissait d’une commande du festival de Birmingham qui voulait mettre en valeur les ensembles chorals amateurs de haut niveau qui se développaient à l’époque en Grande-Bretagne. On connaît déjà les magnifiques enregistrements dirigés par Wolfgang Sawallisch, Karel Ancerl ou Istvan Kertész. La parution toute récente de l’enregistrement dirigé par Mariss Jansons est un événement. Il s’agit d’un live réalisé en février 2009 à Amsterdam dans la salle du Concertgebouw à l’acoustique réputée. Pour l’occasion, Mariss Jansons avait invité le Wiener Singverein avec lequel il collabore depuis 1995, une époque où il dirigeait l’Orchestre Philharmonique d’Oslo. Mariss Jansons fait partie des chefs préférés de ce chœur amateur viennois de très haut niveau dirigé depuis 1990 par l’extraordinaire Johannes Prinz. Comme on les comprend en découvrant cet enregistrement qui est un véritable bijou. D’un point de vue technique d’abord car l’enregistrement en public est d’un équilibre souverain entre solistes, chœur et orchestre. Il permet également d’entendre l’extraordinaire acoustique du lieu. Chapeau aux ingénieurs du son de « RCO Live », le label indépendant maintenant en charge des enregistrements de l’Orchestre du Concertgebouw. Les quatre solistes sont magnifiques, le mélange des voix est juste et aucun ne cherche à tirer la couverture à soi. Krassimira Stoyanova est une soprano au timbre charnu et à la projection ductile, Mihoko Fujimura une mezzo ici plus investie que lorsqu’elle se produit à Paris, Klaus FlorianVogt, un ténor au style parfait et Thomas Quasthoff possède un timbre et des graves toujours aussi somptueux. Le chœur est sublime pendant plus d’une heure que dure cette œuvre et on ne sait quoi admirer le plus, le son d’ensemble d’une grande homogénéité, la justesse constante, la polyphonie toujours audible, le sens de l’ensemble, les nuances extrêmes magnifiques dans les fff comme dans les ppp, le phrasé… Tout y est. Quant à l’orchestre du Concertgebouw, il est confirmé, s’il en était besoin, que c’est bien l’un des meilleurs du moment. Les cordes notamment graves sont d’une présence et rondeur incroyables, les bois exceptionnels (un hautbois qui vous tirerait des larmes à chaque intervention, une première flûte miraculeuse, une clarinette basse qui chante comme si elle était dans votre oreille), une timbale impressionnante d’autorité et de présence, etc. Tout cela est évidemment initié, coordonné et
parfaitement conduit par Mariss Jansons, un maître qui sert la musique avec une émotion, une précision et un investissement de tous les instants tout à fait stupéfiant. Chaque moment de cette extraordinaire musique devient exceptionnel et sublime. Incontestablement, il s’agit de la nouvelle référence moderne du Requiem de Dvořák.. A découvrir d’urgence !
Le choeur de l’Orchestre de Paris chantera pour la seconde fois de son histoire le « Requiem » de Dvorak le 28 et le 29 novembre prochain. Il sera cette fois dirigé par l’excellent James Conlon.
Antonín Dvořák (1841-1904), Requiem op.89 (1890), Royal Concertgebouw Orchestra, Mariss Jansons, direction, Krassimira Stoyanova, Mihoko Fujimura, Klaus Florian Vogt, Thomas Quasthoff, Wiener Singverein (Johannes Prinz, chef de chœur), Symphonie n° 8 en do majeur, op.88 (1889). Enregistrement en direct à Amsterdam en février 2009. 2 CD RCO Live.
Gilles Lesur, 18/11/2012