Des Gurre-Lieder décevants

Les occasions d’entendre à Paris les Gurrelieder d’Arnold Schönberg ne sont pas si fréquentes. La dernière fut à marquer d’une pierre blanche, le grand Esa Pekka Salonen ayant emmené au triomphe l’équipe qu’il dirigeait en mars 2014 à Pleyel avec notamment un Orchestre Philharmonique de Radio France des grands jours et une Michelle de Young captivante de bout en bout (lire ici : https://bachtrack.com/fr_FR/review-salonen-gurrelieder-pleyel-march-2014 via @bachtrack).

Pour leur première exécution à la Philharmonie de Paris ce 19 avril 2016, le constat est malheureusement différent. La faute en revient certainement d’abord au chef, Philippe Jordan qui semble pourtant bien connaître cette œuvre, mais dont la direction ne convainc quasiment jamais. L’Orchestre de l’Opéra, sous sa direction qui semble même par moment nombriliste, sonne bien sans plus mais aussi souvent un peu épais sans vrai caractère ni ligne. Aucune intervention soliste ne captive comme elle devrait le faire et les moments de vraies tensions que l’on attend dans une telle musique sont très rares.

Parmi la distribution réunie pour l’occasion, seule la mezzo britannique Sarah Connolly dans le rôle de Waltaube emporte la conviction. Andreas Schager (Waldemar), Iréne Theorin (Tove), Jochen Schmeckenbecher (Bauer) et Andreas Conrad (Klaus-Narr) font ce qu’ils peuvent avec de beaux moyens mais sont souvent couverts par l’orchestre à tel point, qu’au moins placé au-dessus de l’orchestre de côté, on ne comprend qu’exceptionnellement ce qui est chanté. Etonnant pour un chef habitué à la scène mais qui a peut-être trop l’habitude de la fosse qui protège les chanteurs des excès orchestraux.

Le mélange des Chœurs de l’Opéra de Paris (chef de choeur : Jose Luis Basso) avec les hommes du Chœur Philharmonique de Prague (chef de choeur :  Lukáš Vasilek), un ensemble d’un niveau exceptionnel, n’a pas fonctionné donnant au final un son agressif, indifférencié et flou parfois frisant avec la saturation sonore dans une salle à la tolérance aux forte pourtant désormais légendaire. En revanche, le fait de ne pas sonoriser le rôle parlé, tenu ici par Franz Mazura, en l’absence regrettée de Birgitt Fassbaender, était un point positif.

Mais plusieurs autres choix décoivent. Pour une production émanant de l’Opéra National de Paris qui pratique régulièrement le surtitrage, on ne comprend pas que cette option n’ait pas été retenue pour une pièce où le texte est consubstantiel à la musique. Au final, on avait donc l’impression de regarder un film en VO non sous-titré dans une langue que l’on ne parle pas. Et dans de telles conditions l’ennui et la frustration gagnent vite…

Enfin couper cette œuvre, finalement assez courte et possédant une vraie unité de construction, par un entracte est un non-sens. Esa Pekka Salonen avait lui choisit en 2014 de la donner sans pause.

Décidément ce concert fut donc une grande déception pour une oeuvre que l’on espère réentendre dans des conditions optimales, seules susceptibles de rendre justice à un incontestable et attachant chef d’œuvre du répertoire. Esa Pekka reviens …!

Pour ceux et celles qui voudraient découvrir cette œuvre au disque les enregistrements de Riccardo Chailly, Seiji Ozawa et Mariss Jansons sont les plus recommandables. Et les mélomanes voyageurs pourront opter en 2017 pour une visite à la nouvelle Philharmonie de l’Elbe à Hambourg où cette oeuvre est programmée les 17 et 18 juin sous la direction de Kent Nagano, un magnifique interprète de cette musique.

Gilles Lesur, le 20/4/2016

Illustration : La famille Schönberg par le peintre Richard Gerstl (1883-1908)

Gerstl_-_Die_Familie_Schoen