Das Buch mit 7 Siegeln

Das Buch mit sieben Siegeln (Le livre des sept sceaux) de Franz Schmidt

En France, on connaît très mal Florent Schmitt, dont la musique est trop rarement jouée, mais pas du tout un certain Franz Schmidt (1874-1939), compositeur autrichien né à Bratislava en 1874 du temps de l’empire austro-hongrois. Son œuvre est dominée par ses quatre symphonies, notamment enregistrées par Neeme Järvi à Chicago et Detroit, son opéra “Notre-Dame” d’après Victor Hugo créé à Munich en 1914 et surtout par l’oratorio “Das Buch mit Sieben Siegeln” (Le livre des sept sceaux).

Composé pour chœur, grand orchestre, orgue et 6 solistes, cet oratorio a pour thème l’apocalypse, et ironie de l’histoire, fut créé à Vienne en juin 1938, soit 3 mois après l’Anschluss, par l’Orchestre symphonique de Vienne et le Wiener Singverein sous la direction d’Oswald Kabasta. Depuis, cette œuvre a notamment été dirigée par Josef Krips, Dimitri Mitropoulos (avec comme solistes rien moins qu’Anton Dermota, déjà interprète lors de la création et Walter Berry), Horst Stein, Léopold Hager et plus récemment Nikolaus Harnoncourt, Fabio Luisi, Krystian Järvi et Franz Welser-Möst. Donné environ une fois par an à Vienne, cet oratorio n’a été crée en France que le 13 juillet 1996 à Montpellier sous la baguette de Friedmann Layer. Contemporain exact de Schönberg, Franz Schmidt fut longtemps premier violoncelle du Philharmonique de Vienne du temps de Mahler et également professeur de piano à la Musikakademie de cette ville. Il est souvent considéré comme l’un des derniers et des plus fidèles élèves de Bruckner.

Œuvre ambitieuse par le sujet et par les interprètes requis, cette œuvre ne ressemble à aucune autre. L’apôtre Jean, chanté par un ténor, est le narrateur et sa place prédominante comme son style ne sont pas sans rappeler les passions. Un rôle écrasant qui irait sans doute très bien à un certain Ian Bostridge… évangéliste de grand talent chez Bach. D’autres passages font penser à Wagner, Mendelssohn et même à Berg, notamment lors d’un incroyable dialogue entre 2 survivants terrifiés par la désolation ambiante qui utilise la percussion d’une manière extrêmement moderne. Pour autant, il ne s’agit pas d’une musique hybride mais bien d’une partition originale et magnifiquement orchestrée. Ce n’est certainement pas un hasard si des chefs aussi prestigieux que Fabio Luisi, Nikolaus Harnoncourt, Franz Melser-Möst ou Krystian Järvi dirigent cette musique. Les « Gurrelieder » de Schönberg sont probablement la seule œuvre proche par l’esprit. Mais l’écriture, évidemment plus classique chez Schmidt, laisse aussi une place de choix au chœur qui est très largement sollicité dans des styles très différents.

Le Wiener Singverein, chœur ayant crée l’œuvre, détient probablement le record du nombre d’interprétations et c’est d’ailleurs cet ensemble prestigieux qui avait été invité à Montpellier en 1996 pour la création française. Dans l’enregistrement réalisé en direct en 2005 dans la salle d’or du Musikverein sous la direction de Krystian Järvi et publié par Chandos, le Wiener Singverein, préparé par Johannes Prinz, est tout simplement exceptionnel : justesse constante, intelligibilité du texte, lisibilité des différentes voix, richesse des timbres notamment des hommes, engagement, précision, tenue d’ensemble et au final du très grand art. Rien que pour cette prestation chorale de très haut niveau, cet enregistrement mérite d’être découvert. Le Wiener Singverein est également présent dans la version enregistrée avec les Wiener Philharmoniker sous la direction d’Harnoncourt. Une œuvre chorale majeure à découvrir absolument donc.

Gilles Lesur, décembre 2008