Das Berliner Requiem de Weill

Les plus célèbres requiem composés au XXe siècle sont sans doute ceux de Britten, Stravinsky et Duruflé. Mais bien d’autres mériteraient d’être plus souvent entendus, ceux de Martin, Hindemith, Ligeti, Penderecki, Zimmerman et aussi le “Berliner Requiem” de Kurt Weill.


Né en 1900 à Dessau, une ville de Saxe célèbre pour son université d’architecture, le “Bauhaus”, Kurt Weill étudie le piano dès l’âge de cinq ans. Il devient plus tard l’élève de Humperdinck et surtout de Busoni à la Hochschule de Berlin. Il gagne d’abord sa vie comme pianiste de cabaret puis rapidement comme chef d’orchestre à Lüdenscheid. En 1927, il rencontre Bertold Brecht, homme de théâtre engagé, ce qui le conduit d’emblée vers le radicalisme dans une république de Weimar qui se cherche après la première guerre. A cela s’ajoute son origine juive et il opte pour l’exil dès 1933, d’abord à Paris où seront créés cette même année au Théâtre des Champs-Elysées “Les 7 péchés capitaux” et à Londres puis définitivement à New York à partir de 1935. Il deviendra citoyen américain en 43 et mourra à New York en 1950. Surtout connu pour l’inclassable “Opéra de quat’sous” (Berlin, 1928), rapidement popularisé par le film de Pabst en 1931, et l’opéra “Grandeur et décadence de Mahagonny” (1930), il laisse aussi des comédies musicales, d’innombrables chansons et des œuvres avec chœur dont ce magnifique “Berliner Requiem”.

Après la première guerre, la jeune république de Weimar souhaite associer les compositeurs au développement récent d’un jeune média, la radio. La radio de Francfort commande donc à Kurt Weill une œuvre destinée à une diffusion en direct. Le prétexte est celui de commémorer les 10 ans de la fin de la grande guerre. Weill en profite pour aussi honorer la mémoire de Rosa Luxembourg, communiste pacifiste cofondatrice du parti communiste allemand, assassinée par les extrémistes de droite en 1918. Composé sur un texte de Bertold Brecht à Berlin à la fin 1928, ce “Berliner Requiem” n’échappe pas à l’époque et à l’angoisse croissante qu’elle génère. Cette petite cantate, car tel est son intitulé exact, pour ténor, baryton et chœur d’hommes divisé en 3 voix requiert un orchestre avec bois, cuivres, une guitare, un banjo, des percussions et un harmonium ou un orgue. Des remaniements successifs expliquent qu’il existe plusieurs versions. La version la plus souvent donnée actuellement est celle publiée par David Drew en 2000. Elle se compose de cinq pièces, la ballade de la fille noyée au morbide très expressionniste, l’épitaphe hommage à Rosa Luxembourg morte coupable d’avoir dit la vérité aux pauvres, les premiers et deuxième rapports sur le soldat inconnu sous l’arc de triomphe, dénonciation crue de l’absurdité de la guerre et un choral d’actions de grâce d’une ironie glaçante et parfois également joué en ouverture du “Berliner Requiem”.

La première exécution sous la direction de Ludwig Rottenberg fut diffusée par la Radio de Francfort le 22 mai 1929. Il n’y en aura pas d’autre diffusion et la partition ne sera pas rejouée avant 1967. Il s’agit pourtant d’une musique géniale et touchante, avec ce choral aux quintes sèches, cette ballade accompagnée du saxophone à la gravité toute proche de celle de Marlène Dietrich, ces marches guerrières brutales annonciatrices de l’avenir ou du solo désespéré du baryton accompagné du seul harmonium. Une fascinante et poignante musique qui ne devrait pas vous laisser insensible.

Gilles Lesur, 15-06-2010

Le magnifique enregistrement récent dirigé par John Axelrod utilise la version de David Drew (Nimbus Records). Il est intelligemment couplé avec le “Kaddish” de Bernstein et “Un survivant de Varsovie” de Schoenberg. Jan Remmers (ténor) et Christian Immler (baryton) sont accompagnés par le Rundfunkchor Berlin (James Wood/Simon Halsey) et le Luzerner Sinfonieorchestrer.
L’enregistrement plus ancien dirigé par Philippe Herreweghe, défenseur de longue date de Weill, avec l’ensemble Musique Oblique, le Chœur de la Chapelle Royale, Peter Kooy et Alexander Laiter est toujours disponible chez Harmonia Mundi.
Quant à l’enregistrement dirigé par Paul Hillier (Glossa), il réunit Il Solisti del Vento et le Flemish Radio Choir. Il est couplé avec le “Vom Tod in Wald”, cantate pour basse et instruments à vents initialement première partie du “Berliner Requiem”, “Les Cantates de la paix et de la guerre” de Milhaud, l’Octet pour instruments à vents de Stravinsky et “Der Tod” d’Hindemith. Il a été salué à sa sortie en 2010 par un “Choc de la Musique” dans Classica.

“Das Berliner Requiem” de Kurt Weill (1900-1950)