Bach zum Mitsingen

Certains vont être étonnés, mais il se trouve que je n’avais jamais entendu la «Passion selon Saint-Matthieu» de Bach en concert. C’est maintenant chose faite, depuis ce dimanche des Rameaux. Et il est peu de dire que ce fût une véritable révélation pour une œuvre que je ne connaissais que partiellement et mal. Le prétexte fût un nouveau «Mitsingkonzert», en Allemagne, cette fois (après Birmingham et en attendant Berlin), programmé autour de cette œuvre à propos de laquelle tout a été dit. Mais si entendre la «Saint-Matthieu» est déjà magique, y participer en chantant les chorals dans la tradition de ce qui se passait à Leipzig au début du XVIIe siècle est encore plus émouvant. Et quelle belle façon d’ainsi tenter de pénétrer les mystères insondables de cette œuvre inépuisable.
Simon Halsey, le grand chef de chœur anglais, était à l’origine de cette rencontre. Une rencontre au plus haut niveau à l’initiative de la «Westdeutscher Rundfunk», un organisme de radio doté d’un orchestre professionnel, longtemps dirigé par Semyon Bychkov, et d’un chœur professionnel de 48 chanteurs confié depuis 2010 à David Marlow, un jeune chef de chœur (Anglais, lui aussi !), formé en Autriche et en Allemagne. Selon un principe désormais bien rodé, des chanteurs amateurs volontaires, non sélectionnés, rejoignent des musiciens professionnels, ici, instrumentistes et chanteurs, pour chanter, en l’occurrence, Bach. Certains de ces amateurs présents à Köln pouvaient participer durant la semaine précédente à deux répétitions menées par David Marlow qui partage avec Simon Halsey compétence, exigence, accessibilité et humour… Le jour même de la représentation une répétition avec les quelques 500 à 600 participants permettait de mettre en place les chorals avant la générale et le concert donnés dans la foulée. Deux concerts exceptionnels grâce à un orchestre de haut niveau, un chœur d’une perfection technique incroyable, mais qu’on aurait préféré parfois plus étoffé, des solistes d’une musicalité et d’un engagement rares et un Simon Halsey rayonnant et inspiré et qui visiblement connaît sa «Saint-Matthieu» de l’intérieur. On ne sait plus qui le plus admirer de Jörg Dürmüller, évangéliste d’anthologie, Terry Wey, alto masculin à la technique éblouissante ou Rudolf Rosen, basse aux harmoniques graves exceptionnelles. Et ces musiciens sont à l’évidence tous gagnés par la joie de faire cette musique avec un vrai sens du collectif. Il suffisait de regarder l’interprète de Jésus, d’une concentration incroyable pendant les représentations et rayonnant une fois celles-ci achevées, pour se croire déjà un petit peu au paradis. Le «Knabenchor Gütersloh», au son spécifique des ensembles composés exclusivement de garçons, possède une excellente tenue vocale contrairement à la tenue sur scène pour le moins fantaisiste… Quant aux chorals chantés par cette foule attentive et passionnée, ils sonnaient juste et fervents y compris jusque dans leurs imperfections. Et comment ne pas avoir des frissons en chantant le choral 46 «Wie wunderbarlich ist doch disese Strafe» à l’incroyable chromatisme ou, lors du concert d’Essen, à la reprise piano du choral 54 «O Haupt voll blut und Wunden»… Sans parler du silence de quelques secondes à l’issue du concert de Köln… Enfin, voir, ou plutôt, entendre ces amateurs allemands écouter dans un silence religieux cette musique laisse aussi imaginer un immense et vrai amour de la musique. Incontestablement, nous étions bien de l’autre coté du Rhin…

Gilles Lesur

Köln, Philharmonie, 16 avril 2011, Essen Philharmonie, 17 avril 2011, Passion selon Saint-Matthieu, BWV 244 de Jean-Sébastien Bach, Jörg Dürmüller (évangéliste), Christian Immler (Jésus), Yeree Suh, soprano, Terry Wey, alto, Andreas Weller, ténor, Rudolf Rosen, basse, Solistes du WDR Rundfunkchor Köln, Knabenchor Gütersloh (Sigmund Bothmann, chef de chœur), WDR Rundfunkchor Köln (David Marlow, chef de chœur), WDR Sinfonieorchester Köln, Simon Halsey, direction.

Ecrit par Dominique Della Bianca, une des participantes à ce concert le 2011-05-03
Je suis encore sous le charme ou, plus exactement, je vis encore cette «Passion» de l’intérieur, c’est pourquoi je n’ai pu écrire jusqu’alors. Le silence religieux juste après le concert s’est prolongé en moi. Notre ami Gilles résume tout parfaitement. Pour la chanteuse amateur lyrique que je suis, ayant un goût particulier pour l’opéra et l’opérette plus que pour le chant sacré, jamais je n’avais entendu une œuvre aussi merveilleusement interprétée. L’an dernier à Berlin, j’ai eu la chance incroyable de chanter la Messe n°5 D678 de Franz Schubert sous la direction de Simon Halsey et ce fût pour moi un moment de beauté et de bonheur intenses, au point que, revenue à mon hôtel, je me demandais si je ne l’avais pas rêvé. Pour conclure, Köln était ma 4e expérience avec les «Mitsingkonzert» et sans doute celle qui m’a le plus touchée, même si chanter «Carmina Burana» à Aspendos en Turquie fut également un moment merveilleux. Merci de m’avoir permis par ce message d’apporter mon témoignage.